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PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

"AU PAYS DU MATIN CALME" - CHRONIQUE D’UNE VISITE DE TRAVAIL EN CORÉE DU NORD FIN SEPTEMBRE–DÉBUT OCTOBRE 2014

Connaissance & Partage

"AU PAYS DU MATIN CALME" - CHRONIQUE D’UNE VISITE DE TRAVAIL EN CORÉE DU NORD FIN    SEPTEMBRE–DÉBUT OCTOBRE 2014

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Au retour d’une plongée de deux semaines dans cette "effroyable contrée à la limite du monde civilisé, chez des jaunes bridés, uniformisés, robotisés, et prêts à nous irradier tout crus", je me suis imposé de raconter ce que j’ai vu, non pas pour prendre leur défense, mais pour essayer de comprendre, et de redresser un tant soit peu une image désastreuse. Franchement je m’attendais à des conditions de travail très dures pour cette mission rare, assorties d’une inquiétude permanente concernant la sécurité. Et j’en suis revenu en pleine forme... sans avoir été inquiété. Entre parenthèses, je m’efforcerai de tirer quelques leçons que notre société dite libérale et démocratique ferait bien de méditer, car nous aurions beaucoup à profiter de certaines inventions ‘made in North Korea’. Par exemple le respect pour les leaders... Enfin, un minimum de respect….

La population totale est autour de 24 millions, (50 en Corée du Sud), en majorité urbaine (60%), et elle vieillit assez vite, en raison de la fécondité basse. Malgré les ‘directives officielles’ encourageant les familles à avoir plus de deux enfants, il semble y avoir de la résistance, le taux de natalité restant au dessous du seuil de remplacement. Le gouvernement est préoccupé par ce fait, car les effectifs de l’Armée (presque la moitié de la population adulte masculine) risquent de diminuer. Nos programmes favoris de planification familiale trouvent vite leurs limites, et l’IVG est courante. Les statistiques et indicateurs concernant la population, justement, puisqu’il faut en parler, laissent à désirer. Les données brutes du recensement sont ‘secret d’état’, non accessibles aux étrangers, de même que la plupart des statistiques sociales et économiques. Il faut croire les autorités, ou ne pas rester. Pour les démographes comme moi, c'est une insulte, et je le leur ai dit dans mon rapport de debriefing. Si on ne peut pas interroger la population, comment savoir ce qu'elle fait, ce qu'elle pense, ce qu'elle veut?

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Le problème pour le visiteur, c’est qu’on a du mal à pénétrer la société nord-coréenne. On voit beaucoup de gens se déplacer, mais on ne sait pas exactement ni d’où ils viennent, ni où ils vont. Des expatriés présents depuis de nombreuses années (oui il y en a, le champion que j’ai rencontré, un allemand ex de l’Est, est là depuis 11 ans !) indiquent que la société est fortement hiérarchisée, au contraire des déclarations officielles. Le Peuple aurait le Pouvoir, mais certainement ne l’exerce pas. Le subit’ il ?

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Au sommet de la hiérarchie le Leader Eternel, Kim Il Sung, le père Fondateur, qui n’est pas mort en 1994 mais s’est simplement désincarné. Son ombre et sa présence paternelle couvrent la société toute entière. Son année de naissance, 1912, est marquée comme le début de l’ère Juché, nous sommes donc en 102 de l’ère Juché. Ses portraits géants, ses statues aussi géantes, en compagnie de son fils le Généralissime Kim Jong il (1942-2001) qui lui a succédé en 1994, émaillent le paysage, en ville comme à la campagne. Ses écrits philosophiques, politiques et sociaux, ainsi que ceux de son successeur sont distribués, lus et commentés ad libitum et ad nauseam.

Juste au dessous des Leaders éternels, les caciques du régime, organisées en Présidium de l’Assemblée Suprême du Peuple, de la Commission Nationale de Défense, de l’Armée Nationale Populaire, et du Cabinet (Conseil des Ministres). Il y a donc beaucoup de caciques, et leur caste s’auto entretient naturellement, tandis que leurs enfants ruent dans les brancards et font parfois scandale lors de leurs frasques ou de leurs voyages à l’étranger. Frasques que leurs vieux pères essaient de déguiser comme ils peuvent. Au niveau provincial, les Comités Populaires du Peuple répliquent la hiérarchie de pouvoir du niveau central, et ainsi de suite jusqu’au niveau des communes rurales ou urbaines. Des représentants de ces Comités accompagnent systématiquement les fonctionnaires des ministères, qui leur sont inféodés, et exercent un contrôle strict des fonctions administratives, économiques, éducatives, sociales, sanitaires etc. Par exemple si vous invitez un technocrate à participer à un séminaire de formation à l’étranger, il ne pourra pas se déplacer sans être accompagné d’un mentor politique, qui le contrôlera tout au long du séjour, et occupera un budget de formation parfaitement inutile. Si vous invitez une femme, elle devra obligatoirement être chapeautée par une femme du Parti. Jamais une Nord-Coréenne ne sera autorisée à voyager seule à l’étranger, ce serait trop dangereux...

Au milieu de l’échelle, les intellectuels, très prisés par le gouvernement à condition qu’ils mettent leurs capacités au service de l’idéologie unique. Ils sont très surveillés car ils pourraient bien jeter les bases de la création d’une classe moyenne, ce qui serait aussi trop dangereux. Enfin, au bas de la hiérarchie sociale, les travailleurs des usines, des fabriques, des coopératives rurales, l’immense majorité du petit peuple, éduqué certes, mais maintenu dans l’incapacité de penser autrement, en tous cas d’agir autrement qu’en fonction des directives. Chaque unité de production a un plan de rendement annuel, imposé par le Parti, et doit s’y tenir à tout prix. Ce n’est que s‘ils se débrouillent bien pour produire un surplus qu’ils sont autorisés à réinvestir dans la modernisation des outils de production. Sinon tant pis pour eux.

Bien entendu, on ne passe pas d’une catégorie sociale à une autre. On nait, grandit, travaille, et meurt dans son groupe, sans espoir de prendre l’ascenseur social. Ce que nous ne savons pas, c’est ce qu’il advient des réticents, des résistants, des défaillants, des divergents... Il doit bien y avoir des manières de les faire revenir dans le droit chemin, pour le plus grand bien de leur patrie. Mais notre connaissance de ces manières s’arrête vite.

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LA Ville, c’est Pyongyang. Un fantastique arrangement urbanistique de bâtiments officiels (qui ne portent pas de nom car tout le monde sait ce qu’ils sont), de monuments monumentaux, et d’immeubles d’habitation répétés à l’infini. On parle souvent de ‘Manhattan’. Parcouru d’avenues immenses, rectilignes, de 6 à 10 voies (chacune caractérisée par un vitesse limite différente), avec des carrefours sans feux rouges (très peu, et non respectés par les convois officiels), des agentes de police à chaque coin de rue, s’agitant comme des robots avec leur bâton lumineux. Peu de circulation, pas d’embouteillages, pas de voitures privées (sauf les hommes d’affaires étrangers et les véhicules diplomatiques), des camions polluants, des bus bondés, des trolleys brinquebalants, des tramways grinçants, des vélos à gogo, mais surtout des piétons, des milliers de piétons. Nous n’avons vu que les deux stations de le métro accessibles aux étrangers, mais il paraît qu’il est très fréquenté, avec des tickets à 0,05 euro.

Attention, priorité aux véhicules à moteur, en toutes circonstances ! Si vous envisagez de traverser, même sur les passages zébrés, assurez-vous que pas un véhicule ne vient vers vous, vous devrez immédiatement reculer et revenir sur le trottoir, sans protester. Il paraît que cela tient du respect que la culture nationale impose pour ceux qui détiennent le pouvoir (donc qui roulent en voiture).

Pas de boutiques le long des rues, ni de publicités, mais des slogans, des posters et des statues officielles à foison, ce qui rend la ville très colorée. Parmi les monuments saillants, le gigantesque Hôtel Ruygyong, pyramide de près de 300 mètres visible de partout, dont personne ne parle parce qu’il symbolise un échec : Bien que commencée dans les années 80, cette gigantesque structure qui devait être l’Hôtel le plus haut du monde a subi une série de revers architecturaux et de retards conséquents, bref il est toujours en travaux (il paraît que Lafarge a pris une part du contrat) et ne sera pas ouvert avant longtemps.

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Ce qui frappe dans la population de Pyongyang, c’est qu’elle est presque uniformément composée de la classe d’intellectuels : fonctionnaires, étudiants, dirigeants. Toutes les femmes portent une tenue impeccable, jupe droite noire et talons hauts, coiffure soignée et maquillage, et les hommes une veste. Les écoliers et étudiants sont tous en uniforme avec cravate, et leurs professeurs tirés à quatre épingles, respect aux intellectuels. Le port du ‘bouton patriotique’ est obligatoire, un petit pin à l’effigie des Leaders épinglé sur la poitrine de tout citoyen, et garant de sa fidélité. Le civil qui n’en porterait pas serait immédiatement repéré et sujet à des ennuis considérables, allant jusqu’à l’exclusion. Les militaires n’en n’ont pas besoin, toute leur tenue témoignant de leur affiliation. Ils sont absolument partout, dans leurs uniformes kaki à galons dorés.

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Dans tout le pays les enfants sont rois : il y a des jardins d’enfants dans tous les quartiers et les coopératives, des événements organisés pour eux, et bien sûr des références à l’Armée dans tous leurs jeux. Pour des raisons restées obscures, Il y avait beaucoup d’orphelinats dans les villes. On dit que maintenant la population d’orphelins a diminué, mais allez savoir. Les ONGs caritatives internationales, surtout celles pilotées par la Corée du Sud et les Eglises protestantes, se sont emparées du problème, ce qui a sans doute incité les autorités à le minimiser, en faisant tomber les statistiques. L’éducation est obligatoire pendant 12 ans, donc jusqu’à 16-17 ans. Après, les infants des intellectuels iront à l’université ou dans les collèges professionnels ou dans les collèges d’officiers, les autres à l’armée pendant 5 à 10 ans de service obligatoire. L’université Kim Il Sung est la plus ancienne et la plus grosse du pays, fondée en 1946. Son bâtiment phare à 22 étages se voit de partout. Bien entendu les jeunes Coréens s’initient au jeu de Go dès leur premier âge : jeu de stratégie indispensable. De même pour le ping-pong, et le Taek Won Do (qui est né en Corée).

La santé est gratuite pour tout le monde, et le réseau de structures de santé assez dense, mais il reste des grosses questions sur la qualité des soins. On nous dit que toutes les femmes viennent accoucher dans les hôpitaux, mais un coup d’œil aux maternités explique vite pourquoi elles n’y restent pas plus que quelques heures, surtout en hiver...

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Il y a de la pollution à Pyongyang, en raison de l’absence de vent, et en hiver du chauffage au charbon universel. Les bâtiments sont presque tous chauffés par le sol, par des tuyauteries d’air chaud provenant de chaufferies au charbon. Inutile de dire que les cheminées ne sont pas dotées de filtres à particules, pas plus que les véhicules. Ajoutons à cela le fait que 95% des hommes fument (par principe autant que par besoin), le taux de tumeurs cancérigènes ne doit pas être faible.

Encore un exemple de l’étanchéité des classes sociales, la population urbaine est strictement contrôlée: on ne vient pas s’installer à la capitale depuis les campagnes, des check-points sont installés sur toutes les routes d’accès et ne sont autorisés en ville que les gens qui ont une justification. Nés paysans vous devez le rester... Un exemple des échanges ville-campagne, c’est le marché. Il paraît qu’il n’y a des marchés publics que depuis peu. Un seul est ouvert aux étrangers, à condition de ne pas y prendre de photos (c’est bien dommage). On y trouve, sous un immense hall très structuré, avec gardes et contrôleurs partout, des rangées de vendeuses en uniforme, armées de calculettes, assises devant les étals de viande, fruits, légumes, ustensiles, outils, biens de consommation courante dont on ne sait pas l’origine. On discute les prix avec l’une ou l’autre des vendeuses, mais on n’a pas l’impression que les articles en vente leur appartienne, en tous cas elles ne se comportent pas comme si leur vie en dépendait. Elles doivent sans doute remettre le produit de leur vente à la fin de la journée, comme les employés remettent leur salaire. C’est la seule occasion dans Pyongyang où les étrangers (beaucoup de mamies Russes et Est Européennes, beaucoup de Chinoises) peuvent échanger des Won et payer en monnaie locale. Elles sont ravies.

Les autres villes du pays sont plus petites, plus à l’échelle humaine, plus cosmopolites aussi, en ce sens qu’on y rencontre des gens de toutes les classes sociales, y compris des paysans. Mais la structure de pouvoir est identique, et la présence ubiquitaire de slogans démontre la domination du politique.

Dans les capitales provinciales et les stations touristiques, des hôtels ouverts aux étrangers déploient des prouesses d’architecture et de tape à l’œil. Un soir que nous arrivâmes dans un de ces gigantesques établissements presque vide de clients, je m’installe dans ma chambre au 12ème étage et je reçois un coup de téléphone immédiatement. Je croyais que c’était la police qui voulait mon passeport, mais non, on m’annonce qu’en raison de notre arrivée tardive la politique de restriction d’eau chaude de l’hôtel vient d’être levée et ils remettent les chaudières en route pour nous. Cinq minutes après, l’eau chaude coulait. Pas d’ordinateurs pour gérer les réservations, mais tous nos déplacements doivent être planifiés et annoncés aux autorités locales au moins cinq jours ouvrés avant l’arrivée. Pas de place pour le débarquement surprise !

Vie quotidienne à la campagne, une autre histoire

Le réseau routier est dense, mais de piètre qualité. Autour de la capitale et entre les capitales de provinces, des ‘autoroutes’ (sans péage) très larges recouvertes de dalles de béton mal jointées (bonjour les reins). Les routes secondaires sont peu goudronnées et les chemins ruraux facilement boueux et garnis d’ornières, avec des charrettes à bœufs. On rencontre très peu de véhicules, et ce sont presque tous des utilitaires, des véhicules militaires, ou des transports en commun. De curieux camions qui portent une chaudière fumante sur leur plateau, on dirait qu’ils fabriquent eux-mêmes leur biocarburant... Enormément de véhicules en panne sur les bas- côtés, avec des gens en train de réparer. La règle est l’autonomie, vous dormez sur le bord de la route jusqu’à ce que vous ayez réparé. Pas de garages et pas de stations d’essence. Comment ça doit se passer en hiver, avec la neige? On voit beaucoup de vélos, et les cyclistes mettent le pied à terre dès que ça monte un peu, pas de dérailleurs, mais pas mal de chaines déraillées. Bien sûr, la traction animale reste reine.

Les bas-côtés des routes sont plantés de fleurs, pendant des kilomètres: du plus bel effet esthétique. Etait-ce une directive ?

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Dès qu’on quitte la ville, on est dans les champs, pas de faubourgs. Et c’est le domaine des coopératives. Toutes sont annoncées par d’immenses panneaux portant des slogans en lettres blanches sur fond rouge. L’habitat est groupé, autour de l’obélisque central de la coopérative (slogans), avec des petites maisonnettes individuelles stéréotypées aux toits de tuiles, munies d’un jardin potager sur le devant.

C’était la saison de la moisson dans les rizières, et tout le monde participait. Fermes, vergers, rizières, unités de transformation, toute la société rurale est organisée en coopératives, et guidée par l’objectif suprême de l’indépendance alimentaire.

Hélas nous savons qu’elle est encore loin, et le pays ne survit qu’à travers des importations alimentaires massives. Des famines étendues ont été rapportées dans les années 80 et 90, déclenchant l’assistance internationale humanitaire, qui a du être prolongée jusqu’à nos jours, malgré les sanctions internationales La période sensible est en hiver, quand les réserves de riz ont été consommées, et qu’il n’y a plus de farine. On fait alors appel au maïs et aux pommes de terre. Les fruits, surtout les pommes, sont exportés et non consommés. Le légume roi est le choux, dont les coréens font grande consommation sous forme de ‘kimchi’, choux fermenté et pimenté servi au début de chaque repas, confectionné avec passion par toutes les ménagères et gardé en bocaux sur les balcons. Nous avons beaucoup discuté avec le patron du plus grand programme d’aide alimentaire (le PAM, Programme Alimentaire Mondial). Ils font des enquêtes nutritionnelles tous les deux ans et parent au plus urgent, avec une immense carte murale des déficits nutritionnels devant eux, mais les petits Coréens des campagnes resteront petits toute leur vie. Signe de malnutrition chronique.

Très peu de machines, malgré les déclarations comme quoi le pays produit toutes les machines nécessaires. Il faut croire que les tracteurs et autres machines agricoles ne sont pas nécessaires. Beaucoup de travaux s’effectuent à la main, comme par exemple la construction de la nouvelle piste de l’aéroport. Pelle, pioche, sacs de jute, un travail titanesque, apparemment conduit dans l’enthousiasme: bientôt une nouvelle piste pour faire décoller nos Leaders, et augmenter la fierté nationale

Les vendredis après midi sont consacrés à l’éducation politique : des débats et des conférences sont organisés sur les lieux de travail, tandis que les samedis sont consacrés aux travaux d’intérêt général, entretien des rues et des parcs, propreté des locaux de travail. On peut voir des milliers d’étudiants tondre le gazon de leur université à la main un samedi matin, c’est bon pour la tête, et pour la cohésion sociale. Les restrictions d’électricité fréquentes dans les quartiers imposent aux étudiants d’aller le soir étudier sous les réverbères de leur quartier. C’est assez romantique.

La télévision, reine des médias ? Seulement en ville, et là où les réseaux hertziens portent les ondes. Il n’y a que deux chaines nationales et bien sûr pas de chaine privée. L’une pour les informations (si vous voulez tout savoir des mouvements des dirigeants et des visites officielles) l’autre pour la culture populaire (films faits maison, retransmission de cérémonies et de performances artistiques et sportives, mouvements de masse). Le problème est que vu la faible quantité de programmes mis à la disposition des chaines, les mêmes images reviennent en boucle tout le temps. C’est ce qu’on appelle la chaine d’information en continu.

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Difficile de savoir si les journaux pour le peuple sont très lus. Il est possible que tout le monde en connaisse à l’avance le contenu. En tous cas ils sont en coréen. Une publication hebdomadaire en anglais, le Pyongyang Times, renseigne les étrangers sur les événements nationaux et commentent l’actualité internationale du point de vue national, ce qui apporte un éclairage inattendu sur les grandes questions internationales. Les Américains, ennemis héréditaires, comme les Japonais, n’y sont pas à la fête...

Venez découvrir la Corée du Nord avant que les touristes ne viennent la polluer ! Vous serez choyés, accompagnés, guidés, informés, traduits. On s’assurera que toutes vos questions ont une réponse (mais vous ne pourrez pas les poser à l’homme de la rue). On vous dira ce qu’on peut photographier et ce qu’on ne peut pas, et vous aurez intérêt à vous y conformer, sous peine de crise diplomatique. On vous dira quels hôtels et quels restaurants vous sont accessibles sans problème. On vous dira ce que vous pouvez acheter, et les prix en euro. On vous dissuadera de faire du stop, et de vous perdre dans les marchés. A ces conditions vous apprécierez beaucoup votre voyage, et vous aurez vu ce que les autres ne voient pas...

Evidemment, si vous avez l’esprit obtus et des préjugés politiques (comment peut-on être Nord-Coréen ?), mieux vaut éviter le déplacement...

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Peut-on conclure après un séjour, même professionnel, de deux semaines seulement ? On ne revient pas d’un séjour en Corée du Nord tout à fait le même. On a vu pendant deux semaines, sans vraiment la partager, la vie de gens à priori comme nous mais qui ont un passé, un présent, un avenir complètement différent des nôtres. Les rapports de Human Rights Watch et autres organisations basées en Corée du Sud racontent des choses terribles sur les détentions arbitraires, les camps de rééducation, les ‘disparitions’. Le tout fondé sur les déclarations des réfugiés. Il y a certainement du vrai. Il y a d’autres exemples de régimes arbitraires. On pourrait commencer par essayer de comprendre la volonté d’indépendance, le besoin d’exister sans le contrôle du capitalisme international. La Corée du Nord a adhéré aux Nations Unies en 1991. C’est une nation-sœur. Faut-il la vouer aux gémonies ? Ce serait vouer vingt-quatre millions de personnes, qui souffrent terriblement des effets des "sanctions". Peut-on dialoguer dans un esprit d’ouverture ?


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Vincent Fauveau

2E PARTIE DE LA PRESENTATION DU ROMAN LE TESTAMENT SECRET DE THÉOPHRASTE RENAUDOT, DE NICOLE BURESI.

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2e partie de la présentation du roman LE TESTAMENT SECRET DE THÉOPHRASTE RENAUDOT, de Nicole Buresi.

 

LA MÉDECINE CHIMIQUE ET L’ANTIMOINE

            Renaudot est un grand admirateur de Paracelse[1][i], un alchimiste atypique et rebelle, initiateur et fervent défenseur de la médecine chimique à la Renaissance. Il pensait que le corps humain est composé de sel, de soufre et de mercure et qu’il faut soigner avec les métaux : mercure, antimoine etc. Les soins que Renaudot va dispenser à Loudun, sa ville natale, comme à Paris, à partir de 1625 s’inspirent des recherches de ce médecin génial et iconoclaste, professeur à Bâle, qui osa brûler publiquement les ouvrages de Galien et Avicenne et invectiver les médecins en termes virulents ceux qui discréditaient la chimie :

            Vous êtes des imposteurs et des ignorants. Je ne vous confierais pas mon chien.

            Renaudot s’inspire aussi en cela de la médecine arabe en honneur à Montpellier dont la faculté de médecine prônait plutôt les remèdes chimiques que la saignée, les clystères et autres vomitifs recommandés par la médecine galénique en usage à Paris. Et défendait plutôt Hippocrate que Galien.

            Ayant étudié dans cette faculté, très en avance sur celle de Paris à l’époque, il est toujours resté fidèle à ses maîtres et s’est entouré, dans ses Consultations charitables, de médecins montpelliérains, eux aussi défenseurs de la médecine chimique. Il s’est ainsi fait à Paris des ennemis puissants et impitoyables dont le plus célèbre était Guy Patin, docteur régent de la faculté parisienne.

Du coup il s’est trouvé en première ligne dans la querelle célèbre appelée « guerre de l’antimoine » qui a duré cent ans : 1566-1666, et qui concerne l’utilisation de ce semi-métal, connu et utilisé dans divers domaines depuis l’Antiquité. Dans le domaine médical, le Parlement l’avait classé comme poison en 1566, et un arrêt en a interdit l’usage à cette date. Dès lors, gare aux médecins qui osent l’utiliser !

            Et Guy Patin de surenchérir :

Pour la doctrine, tout ce que les arabes ont de bon, ils l’ont pris des Grecs ; pour leurs remèdes, ils ont vécu un temps qu’il y en avait de meilleurs que du temps d’Hippocrate, mais ils en ont bien abusé, et ont introduit cette misérable pharmacie arabesque, et cette forfanterie de remèdes chauds, inutiles et superflus… Le grand abus de la médecine vient de la pluralité de remèdes inutiles, et de ce que la saignée a été négligée. Les arabes sont cause de l’un et de l’autre.

Passons sur l’ouverture d’esprit du personnage et revenons à l’antimoine. C’est un semi-métal censé purifier l’or, les animaux et les hommes. Mais la potion stibiée, proche de l’arsenic, pouvait être dangereuse. Donnée à bon escient, elle faisait ses preuves, (et remplaçait les autres purgations) : elle guérira le jeune Louis XIV en 1658, mais mal dosée, elle pouvait tuer. Paracelse l’avait déjà dit :

  tout est poison, rien n’est sans poison

            Au XVIIe siècle, Guy Patin qui rejette en bloc les nouveautés n’en voit que leur côté négatif, se plaît à traiter d’empoisonneurs tous ceux qui l’utilisent et interdit d’entrer en relation avec eux.

Plusieurs médecins, dont Théophraste Renaudot, résistent héroïquement aux attaques de ses contempteurs, ce qui lui vaudra de la part de Riolan, docteur régent parisien, le nom de « Théophraste Paracelse ». Il n’est pas le seul à être stigmatisé : Riolan n’hésitera pas à publier une longue liste de médecins qu’il accuse d’avoir empoisonné leurs malades. Quant à la faculté montpelliéraine, elle en prend pour son grade dans ses Curieuses recherches sur les escholes en médecine de Paris et de Montpellier : sur deux cents pages il la ridiculise, la juge incompétente, l’accuse de réduire la « médecine dans une charlatanerie et brigandage », « chacun faisant la médecine à sa mode, sans règle, discipline et correction ». Elle saignerait mal à propos et gaverait ses patients de substances toxiques…(S. Perez p193-194 ).

Guy Patin déclare hautement :

            La chimie n’est nullement nécessaire en médecine, et il faut avouer qu’elle fait plus de mal que de bien, vu que sous l’ombre d’éprouver des médicaments métalliques, naturellement virulents et pernicieux, avec leurs nouvelles préparations la plupart des malades ont été tués. L’antimoine seul en a plus tué que ne fait le roi de Suède en Allemagne…

Malgré tout, de hardis novateurs, persuadés de son utilité, au fil des âges sont passé outre courageusement, pas seulement à Montpellier. Avant Théophraste Renaudot, dès le 16e siècle on peut citer : De Launay (XVIe) à La Rochelle traité de baudet ; au XVIIe Joseph Du Chesne (Quercerus) qui est censuré, et Pierre Paumier qui s’est permis de donner des leçons de chimie aux apothicaires et qui a écrit : La pierre philosophale contre la doctrine d’Hippocrate, de Galien et des médecins modernes, Simeon Courteaud, Jean Chartier et surtout Turquet de Mayerne traité de fou…

            Finalement l’antimoine entrera au codex en 1638, mais ne sera véritablement reconnu qu’après la guérison « miraculeuse » de Louis XIV, en 1658. Malheureusement Théophraste est mort en 1653, après avoir été interdit d’exercer depuis plusieurs années. Il a cependant eu la satisfaction avant de mourir de voir publiée la thèse de son fils Eusèbe, L’Antimoine justifié.

EXTRAIT DU CHAPITRE XVI

Le monde semblait à Turquet riche des secrets de ces remèdes chimiques qui ne demandaient qu’à être dévoilés. Il défendait en particulier l’usage de l’antimoine dont il pouvait chaque jour constater les bienfaits, et du calomel dont il usait avec succès pour faire reculer les maladies vénériennes. Il partit ensuite pour Oxford perfectionner encore sa science et rencontra le roi Jacques 1er avant de rentrer en France où, malgré les foudres de Riolan, il devint médecin ordinaire de notre bon roi Henri.

Mais Turquet était de la religion réformée. Filleul de Théodore de Bèze, il refusa d’abjurer, lorsque l’on voulut l’y contraindre. Il n’était pas homme à céder, et comprit que l’exil valait mieux pour lui. Il trouva refuge en Angleterre, auprès du roi Jacques 1er dont il devint le premier médecin. […]

C’est à Londres que je fis sa connaissance, et c’est grâce à lui que je pus faire remettre au roi Jacques 1er mon Mémoire sur les pauvres qui, hélas, ne trouva pas d’écho à ce moment-là[…]

C’est lui aussi qui m’introduisit à l’œuvre de ce Paracelse qu’il admirait tant et qu’il contribua à faire connaître partout. Il me fit découvrir les vertus de l’antimoine

L’antimoine, on le connaissait déjà par Rhasès, célèbre médecin persan du Xe siècle, qui l’appelait athmond. Il en faisait des onguents et même des suppositoires contre les hémorragies, et le génial Avicenne l’utilisa aussi, après lui. À Montpellier, ce fut Gui de Chauliac, à la suite d’Arnaud de Villeneuve.

Ce dernier avait projeté d’en extraire un élixir de longue vie capable de rajeunir les vieillards, de fortifier les poumons, régénérer le sang et de guérir les blessures. Mais c’est Paracelse surtout qui le mettra à l’honneur. Il en connaissait les propriétés sudorifiques et purgatives et savait en extraire un remède contre le haut mal. Fervent défenseur des remèdes chimiques, il osa dire aux médecins de la Faculté :

Vous avez étudié Hippocrate, Galien, Avicenne, vous croyez tout savoir et vous ne savez encore rien. La chimie vous donne la solution de tous les problèmes de la physiologie, de la pathologie et de la thérapeutique, en dehors de la chimie, vous pataugez dans les ténèbres.

La Faculté riposta en ces termes, le 29e jour de juillet de 1566 : l’antimoine est un poison lequel doit être au rang de simples qui ont une qualité venimeuse. À cette époque, Turquet de Mayerne, cependant, continuait à le défendre, d’où la haine que les docteurs de Paris lui manifestèrent. En 1603 un décret fut pris contre sa personne et contre son œuvre. Il y était traité d’ignorant, d’homme sans aveu, en état d’ivresse et fou à lier. La Faculté chassa même de son sein des médecins qui ne partageaient pas ce jugement. En 1615, le 18 octobre, elle suppliait tous les jurys qu’ils eussent à punir très sévèrement ceux qui donneraient ces sortes de médicaments chimiques, les dispenseraient et les mettraient en vente.

Il est vrai cependant que l’on ne peut pas le prescrire de manière inconsidérée, car, comme le disait Paracelse, c’est la dose qui fait le poison. Il faut le faire de façon mesurée et réfléchie.

J’ai essayé de montrer la modernité de mon personnage. Il nous invite à la recherche de solutions à la précarité et aussi à la prudence face aux nouveaux remèdes. N’étant ni économiste ni médecin, je n’en propose aucune, je m’interroge simplement.

[1] Paracelse (1493-1541). Médecin et professeur à Bâle.

Nicole Buresi.


 

LE TESTAMENT SECRET DE THÉOPHRASTE RENAUDOT

Connaissance & Partage

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LE TESTAMENT SECRET DE THÉOPHRASTE RENAUDOT

PRÉSENTATION

            Pour vous sortir un moment du confinement, je me propose de vous présenter ici mon dernier roman paru aux éditions L.C. le 3 janvier dernier, Le Testament secret de Théophraste Renaudot, roman historique pour lequel une conférence est prévue à « Connaissance et Partage » pour l’après confinement, à une date encore non déterminée.

            Qui connaît Théophraste Renaudot (1586-1653) en dehors du prix littéraire qui porte son nom, et parfois de la Gazette ? Ancien étudiant à la faculté de médecine de Montpellier, ce philanthrope a pourtant mis ses compétences et sa vie entière au service de tous. Il a dû se battre avec la plus folle énergie pour les imposer et il est juste de lui rendre hommage.

Son histoire nous fait revivre un moment particulier de l’histoire de la médecine au XVIIe siècle, un moment où la faculté de Montpellier était en rivalité avec celle de Paris. Un épisode heureusement oublié aujourd’hui, mais qui rappelle combien, dans tous les domaines, les novateurs ont eu du mal à éclairer les hommes. C’était l’époque de Galilée…

            Automne 1652, Théophraste Renaudot est mourant. Il prend ici la parole pour léguer son « testament spirituel » à son fils Eusèbe et à un jeune médecin venu le consulter sur le métier qu’il va exercer et lui raconte sa vie et ses combats.

            À partir d’extraits du roman, entre autres, je choisis de vous présenter ici deux aspects de son œuvre, en insistant sur sa modernité :

            — Sa préoccupation pour les pauvres et son refus de l’enfermement.

            — Sa modernité en matière médicale.

            Si cela vous a intéressés, pour en savoir plus, vous pourrez, à partir du 11 mai, commander le livre soit à la librairie solidaire « Fiers de Lettres », soit à Sauramps médical, soit sur le site des editionslc.fr, soit à la Fnac, etc

Nicole Buresi

Agrégée de lettres, Nicole Buresi a enseigné au Brésil puis à Montpellier, au lycée Jean Mermoz et un an à l’UPV. Aujourd’hui, elle partage sa vie entre cette ville, Paris, enfin  Loudun, dans la Vienne où elle anime depuis cinq ans des ateliers d’écriture à la Médiathèque.

PRÉFACE DU DOCTEUR BERNARD AZÉMA

Tout psychiatre de ma génération a fait son miel des écrits de Michel Foucault, en particulier l’Histoire de la folie à l’âge classique, étape clé dans la tentative de transformer le statut des malades mentaux et de les affranchir des espaces d’exclusion, hospices et autres hôpitaux généraux qui avaient pris le relais des lieux de charité issus du moyen-âge chrétien. À l’époque de Théophraste Renaudot, ils visaient à exercer un contrôle social, à contenir et à entasser pêle-mêle tous les exclus, pauvres, infirmes, malades, « fous », femmes de « mauvaise vie » ou orphelins errants… En son temps, lui aussi voulait les libérer et le hasard fait que Foucault est né à Poitiers, non loin de Loudun, ville natale de ce « Médecin des pauvres » qui affronta courageusement les tenants d’une médecine dogmatique.

Avec ses Consultations Charitables, il inventa le dispensaire, il créa le premier Bureau d’adresse, véritable bureau de placement accueillant offres et demandes d’emploi, Pôle Emploi avant la lettre. Il le doubla du premier mont de piété, s’inscrivit dans une démarche hygiéniste et de santé publique en cherchant à débarrasser de leurs déchets les villes insalubres. Il incarna une véritable approche intégrée médico-sociale de la santé publique pour réduire la misère humaine. Il fut aussi l’inventeur du premier hebdomadaire, la fameuse Gazette… Ouvert aux nouvelles idées, il institua des Conférences sur tous les sujets débattus en son temps.

À travers ce roman, c’est le portrait d’une époque de notre histoire qui se dessine, une époque où s’ébauchèrent les idées des Lumières et la quête d’une science ouverte au dialogue des connaissances, aux « frottements des cervelles » chers à Montaigne, une science incarnée dans le vivant. Bien des actions de Théophraste témoignent de la modernité de ce grand humaniste. Le roman que Nicole Buresi lui consacre vient très justement saluer sa modernité et sa polyvalence et réparer une injustice et un trou mémoriel. Elle nous fait revivre de l’intérieur avec une très belle plume, de manière documentée et vivante, les derniers moments de cet homme qui se raconte dans un testament sans complaisance, en bon protestant qu’il fut tout d’abord. Elle nous fait revivre ses souffrances et ses débats intimes, son attachement sans faille aux réprouvés et aux exclus.

Un livre salutaire et nécessaire sur un « honnête homme » du 17ème siècle, Théophraste Renaudot, illustre méconnu, pionnier, véritable « inventeur social ».

Docteur Bernard Azéma,

Président de l’association Les Compagnons de Maguelone

Ie partie : LES PAUVRES

            Sa constante préoccupation pour les pauvres trouve son origine dans une époque où les guerres, les famines et les épidémies, et les mutations économiques favorisent la misère. Il va devenir « Commissaire Général des Pauvres du Royaume » et s’appuyer sur Richelieu et Louis XIII pour ouvrir ses « bureaux d’adresse », l’ancêtre de notre Pôle Emploi.

            Les pauvres étaient soumis à la plus extrême précarité, malgré les organisations caritatives, hôpitaux, entre autres, œuvres de Vincent de Paul, par exemple. Mais la faillite des Aumônes générales, premières institutions de secours mêlant religieux et laïcs exigeait d’autres initiatives. Celles de mercantilistes comme Laffemas combinaient enfermement et travail forcé.

            La modernité de Renaudot est de vouloir les faire travailler dignement et de ne surtout pas les enfermer. Pour lui il y va de la salubrité et de la gloire du royaume, autant que d’une entreprise humanitaire. Ni mendicité ni contrainte. Un travail utile et constructif pour l’individu et la société. Voici ce qu’il écrit au roi :

            « Commandez à ces fainéants qu’ils travaillent, à ces paralytiques qu’ils cheminent et vous verrez les merveilles que Sa Majesté sait faire. »

            Dans le journal fictif que je lui fais tenir, il se justifie d’avoir dû flatter les puissants du royaume pour obtenir leur aide :

            « … il fallait agir d’urgence car la situation des pauvres était devenue intolérable et      dangereuse. Il fallait ouvrir ce Bureau d’Adresse et de Rencontre destiné à les tirer de leur condition désastreuse et j’avais besoin de son appui. Sur qui d’autre aurais-je pu compter pour m’aider à réaliser mon grand œuvre ? Devais-je y renoncer ?

            Loin de préconiser l’enfermement ou la contrainte, Renaudot propose donc de leur donner un travail et croit à sa valeur « rédemptrice ». Parce qu’il croit en l’homme, pourvu qu’on l’éduque et lui donne un travail digne et une place dans la société, j’en ai fait un précurseur des Lumières. Il va mettre en place tout un système qui permet de les faire travailler, de les soigner (Les Consultations charitables, premiers dispensaires), de leur donner de quoi entreprendre : le Mont-de-piété (sur le modèle italien) entre autres… Cependant, il ne méconnaît pas les difficultés de son entreprise.

EXTRAIT DU CHAPITRE XIX

[à propos des mendiants] … à mon sens, c’est une erreur que de traiter de la même manière les imposteurs et les démunis, les valides et les invalides. Les pauvres valides sont la plus dangereuse peste des États, car Dieu dit que l’Homme mangera son pain à la sueur de son front et eux dévorent le pain d’autrui sans rien faire.

            Était-ce là traitement humain et raisonnable ? Il aurait pu l’être si l’on avait créé partout dans le pays des lieux où un travail les attendait. Au lieu de les voir se masser à Paris, on aurait pu les occuper dans leur village ou dans leur ville à quelque tâche utile à tous, comme d’enlever les ordures qui s’amoncellent dans les rues, ou à quelque autre travail qui ne les rebutât pas. C’est ce que l’on aurait dû mettre en œuvre car les pauvres ne sont pas toujours indociles et incapables de toute discipline, comme on le pense trop souvent.

            L’on tenta bien de les employer à certains ouvrages car l’oisiveté est une sépulture, reconnaissait ce Mémoire[i]. Comme l’on trouvait plus de maîtres cherchant des compagnons que d’apprentis cherchant des maîtres, on pensa que la chose ne serait pas trop ardue. Mais elle le fut : comment contraindre à l’effort qui ne s’y est jamais exercé ?

Quand une habitude est prise, elle devient une seconde nature. L’on me conta qu’un artisan ayant pris un apprenti et l’ayant gardé six semaines, le renvoya au bout de ce temps car le garçon ne voulait pas travailler. Quand on lui en demanda la raison, l’effronté répondit qu’il avait passé trois ans à l’hôpital sans rien faire, et que le travail lui était désormais impossible. Il fut châtié comme il se doit, mais cette aventure nous éclaire tout de même sur les conséquences de l’oisiveté que l’on dit à bon escient mère de tous les vices.

Aussi ne s’y était-on pas pris de la bonne manière, si l’on se réfère au Statut pour les pauvres enfermés. Tenez et lisez. Ils étaient tenus de se lever, depuis le 1er octobre jusqu’au 1er mars à six heures du matin, et depuis ledit 1er mars jusques au 1er octobre à cinq heures pour commencer la besogne demi-heure après être levés. Ils devaient travailler sans discontinuer jusqu’à sept heures du soir, plus tôt ou plus tard, s’il était ordonné par les maîtres et gouverneurs, selon la nécessité des ouvrages auxquels les dits pauvres étaient employés.

            Or les tâches étaient rudes et nullement choisies par ceux qui devaient les accomplir. Les hommes étaient contraints de moudre de la farine aux moulins, brasser de la bière, scier des ais et battre du ciment et autres ouvrages pénibles. Ils ne pouvaient pas être affectés à d’autres métiers. Les femmes et filles et petits enfants dès huit ans obligées de filer, de faire des bas d’étamine, des boutons et d’autres ouvrages avec les dés, le pouce, l’aiguille et le fil. Certes, ces travaux ne marchaient pas sur les brisées des corporations, ce qui évitait certains troubles, mais étaient-ils satisfaisants pour ceux qui les accomplissaient ?

En outre, si leur production n’était pas jugée suffisante, leur pitance était diminuée de moitié la première fois et la seconde, ils étaient chassés honteusement de la maison, châtiés selon la rigueur des arrêts et pour cela conduits par les sergents des pauvres aux prisons du Grand ou du petit Châtelet.

Il faut plus de douceur pour aider les autres, pour les guérir et pour guérir aussi la société.

Je voulais devenir médecin pour soigner les pauvres aussi bien que les riches, faire mon devoir d’homme et de chrétien. À l’heure de ma mort, je voulais pouvoir répondre, comme le fit Ambroise Paré à Charles IX, qu’il ne pourrait mieux soigner les rois que les pauvres parce qu’il soignait les pauvres comme des rois. Je voulais les soustraire à leur condition misérable, parce qu’elle engendre des maux du corps et de l’âme qui sont également contagieux. Je voulais leur apprendre le bien et leur désapprendre le mal avant qu’ils soient incapables de rien faire d’utile et en les faisant travailler selon leur portée, avec la douceur et l’humanité requises. Ce faisant, c’est le royaume qui en tirerait profit, car les hommes, une fois éduqués, deviennent utiles au lieu de nuire au pays. Je me permis de le rappeler à Sa Majesté, plus tard, dans ma Requête de 1626.

Tous ces fainéants et mendiants, quelque vicieux qu’ils soient et comme autant de prodiges d’un État, ne doivent pas seulement être garantis de l’opprobre et du mépris auquel notre négligence les abandonne et prostitue, mais… nous en pouvons et devons faire autant d’instruments pour la conservation et ampliation de ce royaume.

[i] Mémoire concernant les pauvres qu'on appelle enfermez, 1612, in Archives curieuses de la France.

Nicole Buresi

PETROGLYPHES 2EME ETAPE : L’ASIE CENTRALE

Connaissance & Partage

Pétroglyphes 2ème Etape : L’asie centrale

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Lors d’un circuit de 3 semaines en Ouzbékistan et au Kirghizistan nous avons pu visiter 4 sites  comportant des pétroglyphes. Je veux vous en présenter 2, qui ont plus particulièrement retenu mon attention, un dans chaque pays : Kushinor en Ouzbékistan et Tcholponata au Kirghizistan. Ils témoignent de l’extension considérable de ce type de représentation dans tout l’espace de l’Asie centrale, du sud de l’Oural jusqu’au lac Baïkal et du centre du Kazakhstan jusqu’au marges du plateau iranien. Dans tout ce vaste espace essentiellement steppique et dans les bassins des montagnes de sa marge sud, on retrouve les mêmes thématiques de représentation définissant une aire culturelle qui perdure jusqu’à la fin des dominations saces ou scythes (appartenant au rameau indo-européen). La « turcisation » de cet ensemble régional s’amorce au cours du 6e siècle de notre ère. Elle correspond à l’expansion vers l’ouest des Göktürk (“Turcs célestes”) une confédération de tribus turques originaire de Mongolie et principalement de religion chamanique qui absorbe au cours du 9e siècle les Tokhariens du bassin du Tarim et les Sogdiens de la cuvette entre Syr et Amou Daria (tous deux aussi des indo-européens). Au cours du 9e siècle les Kirghizes venus des montagnes des sources de l’Ienisseï refoulent devant eux les Turcs célestes et s’installent dans les montagnes du sud de cette cuvette. La turcisation culturelle de l’Asie centrale se manifeste alors par la prolifération d’un autre type de figuration que les pétroglyphes : les stèles anthropomorphes “balbal”, le chamanisme restant fortement implanté. L’islamisation de cet espace ne s’amorce qu’après le 9e siècle, n’effaçant cependant pas totalement chez les populations nomades les pratiques cultuelles anciennes.

1- Kushinor

Si les pétroglyphes de Kushchinor sont répertoriés sur la carte « Central Asia » de Nelles Map à l’échelle de 1/1.750.000e, je n’ai trouvé aucune mention de leur existence et à fortiori de référence scientifique concernant ce site. Les explications que je vous fournis résultent des observations faites sur le site, en tenant compte d’informations concernant des sites similaires étudiés par des archéologues russes au Kazakhstan, du temps de l’URSS.

Gagner ce site n’a pas été une mince affaire. Nous étions alors en étape à Samarcande et nous avons eu beaucoup de mal à trouver un chauffeur connaissant l’itinéraire pour gagner le village de Kushinor, perdu au bout d’une piste en rase campagne, mais qui n’est pourtant qu’à 80km environ au sud de la ville. Là, lorsque nous avons cherché quelqu’un capable de nous guider jusqu’aux pétroglyphes, il s’est avéré que seul     un instituteur, pratiquant un peu d’anglais, connaissait effectivement leur emplacement, à 4 km environ du village. Notre arrivée dans ce village n’était pas passée inaperçue. Mais    ce fut la fête chez les enfants quand le directeur de l’école décida d’arrêter les cours pour nous accompagner avec les hommes de l’équipe enseignante. « … et par un prompt renfort » des villageois et des enfants se joignirent à la troupe des touristes qu’ils voyaient pour la 1ère fois débouler dans leur village.

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Le site se trouve sur un flanc de colline en contrebas d’une crête rocheuse (cerclage jaune) d’où s’amorce un vallon qui s’ouvre largement vers la plaine de Sahrisabz. L’échine de la colline comporte un “kourgane” (cerclage orange), encore nettement visible dans la topographie, un peu en dessous de la zone des pétroglyphes (il en est séparé par l’entaille de la piste empruntée). Des vestiges d’une tombe islamique (cerclage vert) sont visibles sur le sommet d’une butte (petit cerclage orange) peut-être un tumulus funéraire antérieur.

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En règle générale, il existe d'autres restes archéologiques (tombes, autels sacrificiels ou constructions cultuelles) situés à côté de ces pétroglyphes, pas nécessairement contemporains, mais qui attestent dans la longue durée la sacralité du lieu. On va retrouver ce phénomène sur le site de Tcholponata que je vous présente ensuite. Pensons chez nous au nombre de chapelles édifiées sur des sites de culte celtique.

Les pétroglyphes se rencontrent sur des rochers dispersés sur 5 hectares environ qui émergent d’une végétation steppique rase qui sert de pâturages pour les troupeaux des villageois. Ils nous précisent que cette crête marque la fin de leur commune, ce qui pourrait assigner un rôle de bornes à ces rochers gravés, ligne de partage conservée depuis 2-3 millénaires pour les communautés occupant cet espace rural. La roche support des gravures est un schiste, à grain très fin à la cassure, de teinte naturelle gris clair. Les bancs rocheux présentent des dalles très lisses, probable résultat d’une fracturation en compression et sont injectés de minces filons de quartz (cette organisation est très semblable à celle de Fos de Coa au Portugal). Pour effectuer les gravures, les hommes ont souvent dégagé la terre au bas des affleurements rocheux. En effet les parties affleurantes de la roche ont presque toujours une surface irrégulière, rugueuse, et recouverte d’une patine noire très brillante (patine de manganèse) témoignant d’une très longue exposition à une ambiance désertique marquée par la chaleur et la sécheresse. Cette patine est dure et difficile à attaquer. Par contre en dégageant la terre de la base des rochers, les hommes ont trouvé une surface lisse sans patine noire. Dans les parties enterrées, moins soumises à dessiccation, seul le fer a migré vers la surface de la roche, lui donnant sa teinte brun-rougeâtre qui caractérise les supports des gravures.

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Considérons maintenant le sujet des gravures. On constate qu’elles concernent essentiellement des représentations animalières ou prédomine une faune herbivore qui a pu constituer la cible des chasses pour fournir de la viande aux hommes. Ce bestiaire est dominé par des bouquetins et des mouflons. Deux styles de gravure peuvent être distingués. Le premier correspond à un style animalier que je qualifierais de « maigre » ou « simple ». Il n’y a pas de reprise des bords de la figure par une ligne continue et les animaux sont sans véritable épaisseur. Ils comportent souvent 4 pattes et les mouflons présentent des cornes peu enroulées. Le second style, « épais », délimite la figure par une ligne incisée, amplifie les volumes, représente souvent 2 pattes, les cornes des mouflons s’enroulant en spirales imposantes. Cela témoigne, à mon avis, d’une forte conceptualisation de la représentation. Ce second style pense plus le profil et amplifie la symbolique (spirales plus que cornes).

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L’image fonctionne alors probablement comme l’icône dans le christianisme orthodoxe : elle est associée à une forme de culte. La signification chamanique de ces figures me paraît ici nettement renforcée par des figurations humaines associées sur les panneaux concernés. Ces personnages sont représentés de face, bras levés, l’un tenant un objet qui s’élève au-dessus du bras, jambes écartées : des chamans ou des chefs 

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Parmi les représentations certaines sont plus énigmatiques comme ce cercle recoupé par une croix qui “mord” sur la représentation du pied du personnage au-dessus. Par extrapolation d’observations faites sur le site de Semirechye au Kazakhstan, il pourrait s’agir d’une roue de chariot, de l’évocation emblématique d’un chariot.

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La chronologie de ces gravures fait problème. Pour tout l’ensemble régional défini plus haut, un accord se fait pour une datation « âge du bronze » et postérieure : cela veut dire que ces gravures ont, pour les plus vieilles, environ 4.000 ans. Cette durée est suffisante pour que la légère patine noirâtre (manganèse) qui affecte la plupart des gravures se forme. Le style animalier privilégiant la faune sauvage est d’abord apparu chez des populations nomades qui à partir de l’Age du Bronze tendent à se fixer en s’appropriant un espace dans lequel elles organisent un système de transhumance pour leurs troupeaux. Cet art atteint son apogée autour des 7e et 6e siècles avant notre ère puis s’éteint progressivement au début de notre ère. Comme le semi-nomadisme ne disparaît pas, la raison de ce déclin est peut-être lié « à l’utilisation d’un autre matériau ou au développement d’autres formes d’art appliqué ».

La différence de style que l’on observe sur le site traduit-elle une séquence chronologique ? Pour l’archéologue Luc HERMANN (voir en note) qui a travaillé sur tout cet espace de l’Asie Centrale, le style qui se simplifie à l’excès serait caractéristique de la fin de la période. Plaidant en ce sens, ce style qui s’attache au réel - les bêtes ont 4 pattes et 2 cornes – peut se voir comme l’ébauche d’un idéogramme. Mais comme cette technique de représentation – gravure par piquetage de la patine -  s’est transmise jusqu’à des générations récentes, toute datation reste aléatoire.

Pour ma part je retiens : 1- que la patine qui affecte les gravures indique qu’il ne faut pas trop les rajeunir ; 2- que les chevauchement de figures indiquent au moins une chronologie relative : le cercle affectant le pied du personnage est donc plus récent. Mais de combien ? leurs patines semblent bien équivalentes ; 3 – que les figures réalisées sur les parties de roches dégagées de la terre sont contemporaines de ce dégagement. Ce qui veut dire que depuis, la dynamique des sols du versant n’a pas modifié le site, plaidant pour une date pas trop reculée. La seule chose dont je suis absolument sûr est que la silhouette du chamelier qu’on observe sur une dalle est la plus récente de ce site (comparez les patines avec les figures voisines).

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2 –Tcholponata

Le site se situe sur la rive nord du lac Issyk Kul, à 2 km au nord de la ville fondée en 1922 par les Russes. À l'époque soviétique, elle accueillait des vacanciers provenant de toute l'Union Soviétique. Mais depuis son éclatement, faute d'investissements pour moderniser les équipements, la ville végète incapable d’attirer une clientèle internationale plus exigeante. Et pourtant la zone des pétroglyphes pourrait constituer une ressource touristique majeure pour le pays alors que le développement de l’urbanisation « horizontale » et la pollution font peser des menaces réelles sur ce site superbe. 

Les pétroglyphes se rencontrent sur des rochers, autrefois pris dans d’énormes moraines éventrées à la fin de l’ère glaciaire par de puissants écoulements torrentiels qui les ont transportés et étalés en aval sur  un vaste cône de déjection en surplomb au-dessus du lac. Les rocs supports n’ont donc pas d’uniformité lithologique comme à Kushinor. On y trouve un large spectre de roches cristallines, métamorphiques ou sédimentaires issues de l’érosion de la haute chaine de montagne de l’Alataou : certaines ont mieux conservés les gravures que d’autres. Les roches de la famille  des granites ont des surfaces plus altérées, rugueuses que celles des grès à grain fin. Le site s’étend sur environ 40 ha, et on y dénombre près de 5.000 roches gravées, dont un millier est accessible à la visite. 

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Les 9/10e  représentent des animaux (bouquetins, mouflons, cerfs dominent). Quelques gravures mettent en scène des hommes, notamment dans des scènes de chasse. Mais le site présente aussi des agencements particuliers de rochers dont la détermination peut s’avérer problématique. Enfin  dans la partie centrale du parc on rencontre quelques stèles anthropomorphes du type “balbal”.

Je vous propose d’examiner quelques unes des représentations les plus marquantes du site.

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L’entrée du site se fait en arrière d’un lotissement, vers l’extrémité aval du cône de déjection torrentiel. Sur le très gros bloc qui nous accueille une scène complexe est dominée par la présence de 5 magnifiques mouflons.  Mais on repère aussi en haut à gauche des chasseurs munis d’arc et un animal indéterminé. En haut au centre, venant à la rencontre des chasseurs 3 animaux avec une longue queue puis à gauche toujours en haut mais décalé un 4ème animal identique progresse dans le même sens.

En observant attentivement le haut de cette scène on remarque un détail d’importance : la boucle des cornes du grand mouflons surcharge en partie un personnage sur le même alignement que les 2 chasseurs à gauche. Dans cette boucle on remarque aussi d’autres signes, dont le plus net, comme un point d’interrogation (un enroulement de corne d’une petite gravure ?), restent mal définis. Il est donc gravé postérieurement à la scène de chasse. Et les tirs sont visiblement ajustés sur les animaux qui s’avancent à droite. Leur identification est débattue : des loups ? des panthères des neiges ? Le dessin de la queue plaiderait plutôt pour cette hypothèse. Et quel est l’animal rattaché aux chasseurs ? Ici pas de queue pour nous aider : un chien participant à la chasse ? une panthère déjà capturée ?

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Si nous observons maintenant l’ensemble des mouflons, on constate qu’ils s’inscrivent dans une partie claire du rocher alors que la scène de chasse est gravée sur sa partie patinée sombre. Mais le mouflon le plus grand est à cheval sur les 2 registres et son dessin est beaucoup plus net que l’alignement des 4 du bas, comme s’il avait été rajouté ultérieurement. Considérant en particulier la grande spirale de la cuisse arrière, je pense qu’il devait jouer un rôle important dans un culte chamanique. Mais c’est aussi un animal chassé comme on peut le voir sur d’autres rochers. Sur ce panneau le chasseur dirige effectivement son arc contre un grand mouflon dont le corps comporte en décoration les mêmes spirales que celui de l’entrée du site. Ce dessin très net semble oblitérer   des figures antérieures comme cela apparait nettement sur un autre roc : le tracé le plus patiné est surchargé de l’esquisse d’un mouflon d’allure identique. Un autre rocher présente une autre technique de chasse avec un aigle, pratique toujours actuelle dans la région : cette gravure peut donc être très récente.

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D’autres représentations évoquant de grands herbivores contrastent par la technique employée. Ce cerf bien identifiable est gravé par piquetage. Par contre les deux animaux sur un autre rocher – cerfs, daims, rennes peut-être – ont un corps épais dont le volume est évoqué par un grattage sur toute la surface sans surcharge à valeur symbolique.

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La signification de cette technique peut relever de 2 approches : 1- chronologique : elle serait peut-être la plus récente, car elle est utilisée sur un autre rocher dans la représentation d’un chameau monté et conduit par un chamelier. Ces figurations de chameaux montés sont abondantes sur le site (aussi visité) du col de Sarmych en Ouzbékistan et témoignent de la mise en place d’un grand commerce caravanier dans l’espace régional, plutôt à associer à l’Age du Fer ou au début de notre ère. 2- rituelle : seuls les mouflons seraient devenus à une période postérieure aux premier pétroglyphes schématiques l’objet d’un culte, impliquant un marquage symbolique, tandis que les autres animaux seraient évoqués dans l’épaisseur de leur corps par ce grattage (corps des panthères déjà sur le grand rocher de l’entrée)

« TCHOLPONATA – KIRGHIZISTAN »

« TCHOLPONATA – KIRGHIZISTAN »

« SARMYCH – OUZBEKISTAN »

« SARMYCH – OUZBEKISTAN »

Outre ces rocs gravés, le site montre des agencements de blocs qui manifestent une intervention humaine indubitable mais qui me semblent impossible à inscrire dans une chronologie.. De loin en loin, dans l’ensemble du pavage torrentiel, des places sont dégagées de tout rocher. Les places circulaires peuvent correspondre à l’emplacement de yourtes des gens accompagnant la transhumance des troupeaux et peuvent donc être très récentes. Mais il en existe des carrées, plus vastes, qui ont donc du avoir un autre rôle : pour des regroupement cultuels ou “politiques”. Une autre forme apparaît fréquente en groupement : un périmètre restreint délimité par des petits blocs comporte en son centre un bloc plus important. Il s’agit manifestement de tombes, leur groupement pouvant correspondre à un ensemble familial. Enfin dans la partie centrale du site on recontres des stèles “balbal”, petits menhirs de moin d’un mètres la plupart du temps figures humaines sculptées en bustes bras croisés sur la poitrine.

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Par comparaison avec le grand nombre de ces stèles retrouvées sur le site de Bourana, dans la basse vallée de Tchouï, elles sont considérées comme datant du 6e siècle de notre ère et antérieures à l’islamisation de la zône. Ce site que nous avons visité, à 80km à l’est de la capitale Bichkek, est particulièrement important pour établir une chronologie relative : il comporte un kourgane, des rochers gravés au style mince datée du 2e siècle av. JC., de nombreux balbal (période “turque”  à partir du 6e siècle de notre ère), et à partir du 10e siècle des témoignages de la conversion de la population à l’Islam : un très beau minaret (11e siècles, d’inspiration architecturale samanide), seul témoin d’une grande mosquée caravansérail aujourd’hui disparue, et un cimetière musulman (stèles du 11e  au 15e siècles).

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A NOTER =  ceux qui voudraient en savoir plus peuvent rechercher sur Internet les publications de l’archéologue belge Luc Hermann, qui n’étaient pas encore publiées à la date du déroulement de ce voyage.

Jean BARROT

L’ARBRE COMME METAPHORE DU CORPS SEXUE DANS L’ŒUVRE PICTURALE.

Connaissance & Partage

L’ARBRE comme métaphore du CORPS SEXUE dans l’œuvre picturale.

            Il y a 30 ans, j’avais conduit une série d'entretiens concernant l’art occidental sur le thème de " L'explicite, le caché et l'inconscient dans les tableaux ". Tout au long de 3 décennies de visites de musées et d’expositions, j’ai pu constater que mon intuition initiale avait quelque validité. Dans certaines œuvres, la forme et la disposition d'arbres particulièrement mis en valeur dans la composition permettent au peintre de dire la sexualité des corps dans une scène où celle-ci serait incongrue, inconvenante ou bien expriment à son insu, ce qui a partie liée à ses désirs, ses fantasmes. Dans le premier terme de l'alternative cette expression peut être simplement cachée, et ici le terme de métaphore – procédure de substitution analogique – est tout à fait approprié. Dans le second terme, il s'agit d'expression inconsciente. Elle peut intervenir dans le programme explicite du tableau – son “sujet” – comme un lapsus, retour du refoulé dans un discours organisé. Mais la peinture n'est pas un langage discursif et cette expression inconsciente apparaît plutôt comme l'image du corps du peintre projetée dans l'œuvre, sorte de présence graphique qui peut, sur la base de certains invariants, avoir d'autres modalités d'occurrence, mais qui fonctionne en tant que signature de l'œuvre.

UNE AMORCE

Pour étayer mon hypothèse, je vais partir d’une œuvre où la référence sexuelle est explicite : Les offres d’amour, une estampe de Dürer (18 cm x 13,8 cm ; vers 1495) conservée au musée du Petit Palais à Paris. Une copie inversée, (la plaque de gravure étant copiée sur l’estampe de Dürer, l’image se renverse dans l’estampe produite à partir de cette plaque) exécutée par  Marcantonio Raimondi, et conservée dans les collections artistiques de l'Université de Liège, atteste de la large diffusion de cette image en son temps.

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Un vieil homme enlace de son bras droit une jeune femme et de sa main gauche cherche dans une bourse les pièces qu’attend, main gauche ouverte, la jeune femme dont la main droite tient une bourse entrouverte dans laquelle elle va glisser l’argent reçu. L’argent ne se voit pas, seules les bourses l’évoque. Mais quel est le sens de cet échange monétaire ?

Regardez bien maintenant le second plan, car c’est là que s’explicite sous la forme d’un rébus graphique la nature de la transaction.

Sur la gauche de la gravure, côté de la jeune femme, l’envol d’une étole qui orne le vêtement évoque dans ses plis l’ouverture d’un sexe féminin. Pas besoin d’être un anatomiste distingué ou un obsédé sexuel pour le repérer. Cette pratique d’utilisation des plis d’un manteau, d’une robe, d’un voile pour évoquer le sexe d’une femme est relativement banale depuis le gothique. Voilà le bien que la jeune femme est en train de négocier.

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A droite, côté de l’homme, le second plan est occupé par des arbres. Deux me semblent particulièrement significatifs. Le plus à droite a servi à attacher la monture de l’homme – la forme de la selle ne laisse pas de doute sur le propriétaire – à une branche cassée qui émerge du tronc. L’arbre entre l’homme et le cheval comporte sur son tronc une fente de l’écorce, étroite et allongée, qui se situe au même niveau que la branche cassée de l’arbre de droite. Le rébus que nous offre le graphisme est donc facile à décoder : ce que l’homme a derrière la tête est le désir d’un sexe féminin et cela le met en érection. Et il est prêt à payer pour cela.

            Au cas où malgré le titre de la gravure, vous auriez encore un doute, trouvant que j’exagère, voici un détail de l’ Adam et Eve de Raphael, œuvre gravée par Raimondi.

A partir de 1510, Marcantonio Raimondi s’installe à Rome et entre dans le cercle des artistes entourant Raphael. Il en popularise l’œuvre par la gravure, en travaillant souvent à partir des dessins préparatoires d’œuvres réalisées pour la peinture. C’est ainsi qu’on lui doit l’évocation d’un tableau perdu du maître «  Le jugement de Pâris » qui inspirera Manet et Picasso…

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Toujours sceptiques ?

CHAMPS DES POSSIBLES, ÉVALUATION DES PROBABLES

            La question qu’il faut maintenant affronter est celle-ci : pourquoi l’arbre sert-il de référent métaphorique du corps humain ?

J’en identifie 2 sources principales qui se relaient dans le temps.

I – L'une, déclinante à partir de l’âge classique et de plus en plus librement réinterprétée, est le christianisme.

            Dans la Genèse, c’est à partir d’un arbre qu’Adam et Eve découvrent leur nudité. Vous en connaissez la suite (j’y reviendrai dans un autre texte). Le texte biblique propose une métaphore puissante sur ce thème : l'Arbre de Jessé dans le livre des Prophètes : « un rameau sortira de la tige de Jessé ... ». Le tronc ancêtre se prolonge en une suite de ramifications représentant les différentes générations qui en sont issues. La banalisation de la métaphore en a fait un arbre généalogique, après renversement du sens de lecture. Au lieu d’aller de l’ancêtre à sa descendance, il s’élabore à partir d’un individu vivant qui cherche à remonter la complexité de ses ascendants. Cette double lecture s’élabore à partir du tronc (l’ancêtre – passé ; l’individu – présent) vers la ramure (la descendance) et vers les racines (l’ascendance). Mais l'expression la plus conceptualisée de cette assimilation arbre-homme est développée par saint Augustin méditant sur le bois de la Croix. Elle est répercutée très largement par La Légende dorée de Jacques de Voragine :  la croix est Signe de l'homme. « La largeur de la croix du Seigneur c'est la traverse, sur laquelle on a étendu ses mains ; sa longueur allait depuis la terre jusqu'à cette traverse en largeur sur quoi tout le corps de Jésus Christ fut attaché moins les mains ; sa hauteur, c'est à partir de cette largeur jusqu'à l'endroit de dessus où se trouvait sa tête ; sa profondeur, c'est la partie cachée et enfoncée dans la terre ». (T.1. L'invention de la Sainte Croix - GF. Flammarion, 1967).

C’est cette vision de la mesure du Corps de l'Homme que Léonard de Vinci va chercher à abstraire dans la géométrie des cercles et carrés et qui, comme en écho, intervient   dans les discussions d'architectes sur le plan à adopter pour St Pierre de Rome.

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Albrecht Dürer, St Jérôme en pénitence (1496 ; gravure ; 31,2 cm x 22,3 cm) Collection Dutuit - Musée du Petit Palais - Paris – (présentée en exposition à Paris en 1996 et 2009)

La gravure nous présente St Jérôme en pénitence dans une iconographie classique : à genoux, demi dévêtu, se frappant la poitrine d'une pierre, le lion couché en arrière de lui. Il fait face à un crucifix fiché au sommet du tronc cassé d'un arbre mort, qui occupe l'angle bas à gauche de la gravure. Si la notice qui est consacrée à cette gravure dans le catalogue de 2009 [Une image peut en cacher une autre - RMN] évoque la présence dans le décor de plusieurs profils de visage (détail 1 ; mais regardez bien : vous allez peut-être y voir encore autre chose …), elle ne dit rien de la représentation du tronc (détail 2) : « … un crucifix, telle une bouture vivifiante surgit de la sombre cavité d’un tronc desséché. L’association du crucifix et du tronc mort renvoie à la croyance chrétienne selon laquelle le bois de la croix provient de l’arbre qui porta le fruit de la Chute, laquelle nécessita la mission rédemptrice du Christ. »

Ce tronc d'arbre mort présente pourtant un dessin curieux. Tout le flanc qui nous fait face est refendu d'une longue fissure oblongue d'où surgit et se développe l'arcature d'un bourrelet puissant. Alors que la gravure du tronc se constitue de lignes verticales, cette figure mêle courts traits horizontaux, pointillés circulaires, plages de noir dense, lui donnant un relief saisissant. L'ambivalence de l'image est profonde, féminine et masculine à la fois. Ce qui correspond bien au récit que fait le saint lui-même selon La Légende dorée : étant au désert « tandis que je n'avais pour compagnons que les scorpions et les bêtes sauvages, souvent je me trouvais en esprit dans les assemblées de jeunes filles ; et dans un corps froid, dans une chair déjà morte, le feu de la débauche m'embrasait... ». Ici l'arbre condense cause et effet du désir qui obligent Jérôme à la pénitence.

II – La seconde source iconographique, montante depuis la Renaissance, est alimentée par la mythologie et l'histoire gréco-romaine et exprime l'immense respect des classiques pour la culture antique.

Celle-ci n'est d'ailleurs pas nécessairement vue comme en opposition à la culture chrétienne : toute une série de courants intellectuels de la fin du 15e au 17e siècles tentent de fusionner en une culture unique les deux héritages : le néo-platonisme.

C’est cette source “païenne” qui alimente des images plus ouvertement sexuées du corps et plus directement figurées dans l'arbre.

            L’œuvre de Cranach l’Ancien que je vous présente maintenant en appelle à la mythologie antique. Il s’agit de la première version d’un Jugement de Pâris, thème qu’il illustrera encore à plusieurs reprises. Pour les peintres de cette période – fin du gothique et Renaissance – la mythologie est un alibi pour représenter des corps nus (dans le registre chrétien, il n’y a guère que l’évocation d’Adam et Eve ou les tourments des damnés dans l’Enfer qui justifie cela), principalement celui des femmes. Cet « obscur objet du désir », pour la gent masculine qui forme de manière quasiment exclusive la corporation des peintres…

Jupiter a envoyé Mercure auprès de Pâris, prince de Troie, pour qu’il attribue la pomme d’or (jetée par la déesse de la discorde parmi les déesses de l’Olympe) à la plus méritante. Les 3 déesses concernées Junon Minerve et Venus tentent d’obtenir sa décision par des promesses de récompense. C’est la proposition de Vénus qui l’emporte : lui accorder l'amour de la plus belle femme de la terre, Hélène, la reine de Sparte. Vous connaissez la suite : ce sera la guerre de Troie.

Alors que dans le mythe, seule Vénus se dénude, Cranach joue de la représentation du corps féminin, de profil ¾, de face, de dos (avec une improbable torsion du cou !). Il reprend la figure du cheval attaché à une branche / sexe en érection, mais ne dissimule pas l’identification de l’arbre central au corps féminin. Tandis que Pâris semble émerger des brumes du sommeil, le cheval nous regarde, nous prend à témoin, répliquant à gauche la même invite à entrer dans l'œuvre que nous adresse la jeune femme à droite. Notons encore que le cou des jeunes femmes s'orne de chaînes et de colliers dorés qui renvoient au harnachement du cheval : mors, brides, etc. La femme comme la "plus noble conquête de l'homme" ?

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Lucas Cranach l'Ancien, Le Jugement de Paris (vers 1512-1514 ; tableau ; 43 cm x 32,2 cm) Wallraf Richartz Museum, Cologne.

Mais l’œuvre essentielle où puisent les classiques à partir de la fin du 16e siècle est Les Métamorphoses d'Ovide, dont Poussin fut un lecteur assidu.

Lors de la rétrospective Poussin au Grand Palais à Paris en 1994, l’œuvre qui ouvrait le parcours était un dessin : un enfant sortant du ventre d'une femme dont les bras et la tête sont déjà affectés du processus de métamorphose en arbre. Ce nouveau né n’est autre qu’Adonis.

Sa mère Myrrha a été victime ignorante de l’inceste réalisé par son père Cinyros, le roi de Chypre. Celui-ci se trouve donc être à la fois le père et le grand-père d’Adonis. L’Olympe ne voit pas cela d’un bon œil, bien qu’il en soit à l’origine. Mais la colère des dieux se porte sur Myrrha, punie par une métamorphose en arbre au moment de son accouchement. Ses larmes, la myrrhe, s’écouleront sans fin de l’arbre qu’elle est devenue.

Les 3 œuvres suivantes déroulent le fil de cette métamorphose.

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Nicolas Poussin, La naissance d’Adonis (dessin ; vers 1620 ; 18,3 cm x 32,5 cm) – Librairie royale du château de Windsor  – |a métamorphose est en train de s’amorcer…

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Philips Galle, La naissance d'Adonis, (gravure d'après Anthonie Blocklandt ; vers 1577 ; 22,8 cm x 30,4 cm) – Le corps de Myrrha se voit encore dans l’arbre mais ses membres ne sont plus individualisés.

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Niccolo Bambini, La naissance d’Adonis (huile sur toile ; vers 1700 ; 97 cm x 130 cm) - Musée des Beaux Arts, Rennes – La métamorphose est achevée : Myrrha n’est plus présente que par la fente / sexe dans le tronc de l’arbre d’où sort le bébé Adonis

Je veux m’attarder encore sur deux autres œuvres de Poussin.

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 Nicolas Poussin, Paysage avec Orphée et Eurydice (huile sur toile ; vers 1649 ; 124 cm x 200 cm) – Musée du Louvre, Paris.

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Dans ce tableau sur le bord droit, figure un arbre étonnant qui contraste très fortement avec les autres arbres du paysage. Alors que le reste du paysage se développe sans rapport avec la scène qui se joue, l’extrémité droite de l'œuvre tisse trop de relations picturales avec le sujet pour que sa conception soit sans signification. Sur un tertre vivement coloré s'élèvent deux arbres. Des pièces d'étoffes, accrochées ou posées au pied, assurent l’identification métaphorique de ces arbres aux 2 protagonistes principaux. La rouge, accompagnée de 2 carquois (?), suspendue à l'arbre de gauche sur une branche coupée courte, renvoie à Orphée. La jaune et blanche, étalée au sol, en avant d’un vase doré de forme arrondie et renflée juste au pied de l’arbre, renvoie à Eurydice. Mais pour cet arbre, il y a un problème pour la poursuite de l’identification. Le tronc de cet arbre, puissant en sa base, se dédouble rapidement en Y. Vers la droite, une très grosse branche, cassée, monte en s'effilant, écorcée en sa partie terminale. Ce qui me renvoie à une gravure du début du parcours de l’exposition. Dans une “scène allégorique” tout à gauche, un satyre offre une grappe de raisin. Son sexe en érection présente le même dessin que cette branche cassée. Cette parenté est étonnante : même mouvement graphique, même effilement terminal. Ayant effectué une mise à la même échelle de la branche et du sexe du satyre, j’ai pu constater la large coïncidence des 2 formes. Cette portion de l’arbre est donc masculine. Mais sur l’autre partie de l’arbre, à gauche, qui s’élève vers les frondaisons, on observe à mi hauteur, au même niveau horizontal que la pointe cassée à droite, un creux sombre allongé verticalement et bien mis en valeur par des bourrelets lumineux. Cette autre portion est donc féminine.

Cet arbre bisexué, issu du même tronc renvoie, par déplacement, au destin de Philémon et Baucis dans Les Métamorphoses. Le couple, bien que très pauvre, offre l’hospitalité à des voyageurs dont ils ignorent qu’ils sont Jupiter et Mercure. Pour les remercier, Jupiter leur offre à leur mort une métamorphose en 2 arbres qui fusionnent dans leurs ramures, manière d’honorer la fidélité de leur amour dans l’éternité. Ici c’est le même tronc qui assure l’union d’Orphée et d’Eurydice et qui exprime l’intensité de leur désir. Tout absorbé dans son chant, Orphée ne voit pas l’effroi d’Eurydice qui découvre l’approche du serpent qui va la tuer. Comme l’amour de Philémon et Baucis, l’amour d’Orphée et d’Eurydice émeut les dieux. Seul parmi les mortels, il obtient de descendre aux Enfers pour y reconquérir Eurydice. Son échec par impatience le condamne à errer solitaire, se lamentant sans fin de la perte d’Eurydice. Ce qu'exprime peut-être le deuxième arbre issu du tertre, support du manteau rouge, arbre Orphée dressé vers "l'arbre Eurydice" mais désormais définitivement hors d’atteinte de son désir.

La 2ème œuvre est inspirée à Poussin par la Jérusalem délivrée du Tasse. L’épisode de “Tancrède et Herminie” lui a inspiré 2 tableaux. Celui que je veux vous commenter est celui du Musée de l'Université de Birmingham.

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Nicolas Poussin, Tancrède et Herminie (huile sur toile ; 1634 ; 75,5 cm x 99,7 cm) – Musée de l'Université, Birmingham.

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La scène qui se joue au niveau des personnages évoque « la sensualité frémissante du récit du Tasse, qui mêle, selon une recette qui a fait ses preuves, amour et mort, transcrite avec tant de bonheur et tant d'émotion une première fois par Poussin [N.B: tableau de l'Ermitage à Saint Petersburg – 1628-29)] et ici réduite à un exercice de haute école dont la perfection convainc sans toucher » (N. Poussin - Catalogue de la RMN – Paris, 1994). Tancrède, bouillant croisé, garde captive Herminie, princesse païenne, qui en devient amoureuse mais se refuse par conviction à sa propre foi. Cette scène se rejoue sous d'autres formes par déplacement progressif si l'on intègre les autres éléments du "décor" : les chevaux et les arbres qui leur correspondent. A l'arrière-plan deux arbres “sexués” disent le désir actif de l'homme et le retrait de la femme accentué par l'inflexion vers la droite du tronc de l'arbre creux. Ce que les arbres expriment pour les corps, les chevaux le manifestent sous la forme d'une communication, d'une demande : quand la tête du cheval de Tancrède exprime une demande discrète, retenue, tête repliée sur le col, celle du cheval d'Herminie se détourne dans un mouvement ample et ferme.

Mais au premier plan, tout bascule : face à un Tancrède, blessé, inconscient, passif – dont pourtant le bras tendu désigne l'objet de son désir – Herminie cède à ses sentiments et, avec l'épée de son amour/geôlier, sacrifie sa chevelure pour en obturer la plaie et lui sauver la vie. Désir, déclaration, offrande, tout le rituel amoureux me semble ainsi exprimé dans cette œuvre, en partie grâce aux arbres.

QUELQUES JALONS AU FIL DES SIÈCLES

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Horace Le Blanc, Le martyr de St Sébastien (huile sur toile ; 1624 ; 222 cm x 160 cm) – Musée des Beaux Arts, Rouen – (présenté lors de l’exposition "Grand Siècle" à Montpellier en 1993).

Dans ce vaste tableau toute la moitié droite offre une représentation assez classique du Saint, au corps vigoureux ligoté à un arbre et percé de trois flèches. Dans la moitié gauche le tiers supérieur s'oppose à la partie inférieure. Au ciel deux anges – dont l'un aux fesses rebondies et dénudées (mes “mauvaises pensées” me poussent à vous préciser que cette œuvre était destinée au couvent des Capucins de Rouen) – offrent à Sébastien la couronne du héros et la palme du martyr. Sur terre un tronc d'arbre coupé porte les habits du saint : toge rouge, chemise blanche alors qu'au sol sont jetés sa cuirasse et son casque d'officier de l'armée de l'empereur romain Dioclétien.

Au sommet du tronc, une branche cassée éclatée s'ouvre sur une lame de bois brun clair, telle une langue dans une gueule hurlante. En partie basse du tronc, une autre branche coupée, dénudée de son écorce à son extrémité semble un sexe en érection. La dimension de ce tronc d'arbre correspond exactement entre “bouche” et “sexe” à la dimension équivalente du torse de Saint Sébastien. Enfin, les touches de peintures qui modèlent l'écorce de ce tronc ou celle de l'arbre auquel est ligoté le martyr évoquent plus une fourrure animal que la rugosité sèche du bois. Couvert des vêtements du saint, ce tronc n'est-il pas là pour signifier le corps charnel de Sébastien, corps bestial qui souffre à en hurler la douleur, mais aussi peut-être corps jouissant des pénétrations supportées, alors que le corps mystique du saint « corps musclé, à peine marqué par son martyre, s'offre à la dévotion des fidèles » (Catalogue de la RMN, 1993).

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Jean-Honoré Fragonard, Le retour du troupeau (huile sur toile ; 1765 ; 60 cm x 80 cm) - Musée d'Art, Worcester (USA) – (présenté lors de l’exposition Fragonard au Grand Palais à Paris en 1987).

« Le sujet est banal dans la peinture du temps: un pâtre (ou est-ce le meunier ?) tente de convaincre et d'entraîner une encore quelque peu farouche bergère. Un chien, deux "bœufs" (selon Le Brun des taureaux), des moutons animent ce paysage orné de "plusieurs arbres de formes pittoresques". Les robes crémeuses des bestiaux, la jupe rouge de la bergère éclairent la composition. L'habileté de Fragonard est d'avoir placé les jeunes gens qui badinent sur la pente déclinante d'une colline » (P. Rosenberg - Fragonard - Catalogue de la RMN, 1987). Alors que le moulin, les bœufs semblent avoir attiré les commentaires, rien d'autre que le "pittoresque" n'est noté pour les arbres, dont la disposition dans l’œuvre est loin d’être anecdotique.

Prêtons-y plus attention. Au centre de la composition un grand arbre tranche sur les autres par son allure : double coude du tronc, ramure déliée, feuillage fin et lumineux. C’est “l’arbre bergère”. Son inclinaison vers le bas de la pente reprend le mouvement de fuite du corps de la bergère. Le refus qui s’exprime dans le couple par les bras de la jeune femme ; l’arbre le dénonce comme marivaudage : les 2 branches et leurs rameaux garnis de feuiIlage se tendent vers le haut de la pente où se tient le meunier. Le corps dit non, le désir dit oui. Mais dans l'angle bas à droite un autre élément de la composition attire l'œil. Il s'agit d'un tronc coupé, posé sur une contrepente : c’est “l’arbre meunier”. Il se redresse légèrement depuis le bord droit du tableau, près duquel il se divise en deux grosses branches maîtresses. La coupe du tronc forme une tache très lumineuse, orangée, arrondie, à laquelle quelques touches de blanc jaunâtre donnent un peu de relief, au sein de la masse brun verdâtre de la végétation du sol. Ce tronc domine l'eau tranquille d'une mare ou d'un ruisseau aux berges frangées de végétations aquatiques. Vous faut-il un dessin ? Comment mieux dire par ce couplage tronc / mare le désir du jeune homme.

            Car Fragonard est un coquin, utilisant habilement TOUT le paysage, pour manifester ce que le 18e siècle pratique mais ne dit point (voir en note). Pas d’inconscient ici, mais de la rouerie, du caché.

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Jean-Honoré Fragonard, Pâtre jouant de la flûte, bergère l’écoutant (huile sur toile ; vers 1765) – musée de l’Agglomération, Annecy

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La composition fut une des rares choisies pour être exposées au Salon de 1765 qui scella le grand triomphe de Fragonard avec son Corésus et Callirhoé. Diderot, prolixe dans ses Salons sur le grand œuvre, bâcle en 2 lignes ce tableautin « un pâtre debout sur une butte ; il joue de la flûte ; il a son chien à côté de lui avec une paysanne qui l’écoute. Du même côté une campagne ». Pour l’exposition de 2015 au Luxembourg, G. Faroult est un peu plus explicite : « Les bergers amoureux de Fragonard font corps, eux aussi [comme chez Marmontel], avec le paysage. Au sentimentalisme bien-pensant de Marmontel, Fragonard adjoint un élément subtil qui lui fait défaut : l’humour. Ses pasteurs fusionnent en un seul groupe statufié dont émerge un poétique roseau. Dans la mythologie, la nymphe Syrinx, pour échapper au désir du dieu Pan, fut transformée en roseau. Pan tailla la plante pour en faire une flûte ». Bien. Mais regardez les 3 moutons en bas à droite et le talus vers lequel ils se dirigent en pleine lumière. Ne vous vient-il pas comme à moi de “vilaines pensée” ?  

« Eh, eh, Courbet est arrivé é, é ».

Certes la connaissance de L’origine du monde reste confinée au cercle très réduit des relations de Khalil Bey ; mais au delà, dans les cercles mondains parisiens, on en a entendu parlé. Par contre, la photographie pornographique connaît une vogue sans précédent sous le Second Empire même si elle est traquée par la police. Alors pourquoi faire des embarras et tenter d’utiliser encore l’arbre comme substitut du corps sexué ? La réponse est complexe, Cézanne nous en offre une démonstration.

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Paul Cézanne, Pastorale (huile sur toile ; 1870 ; 65 cm x 81,5 cm ) - Musée d'Orsay - Paris.

            La composition présente un bord de rivière, occupé par six personnages, trois hommes vêtus, trois femmes nues. A droite fermant l'œuvre, un bateau, voile hissée, dans lequel un homme, de dos, fume. Sur la berge, face à nous, un homme allongé, vêtu de noir, est au centre de la disposition des quatre autres personnages : un homme assis, encadré par un nu allongé, un nu assis et, en arrière du personnage en noir, un nu debout.

            Dans un travail remarquable, Paul Cézanne, Les Baigneuses (A.Michel / Beaux Arts de Bâle), M.L. Krumrine propose une analyse de cette œuvre qui met en évidence les références iconographiques exploitées par Cézanne, références tant internes qu'externes à son œuvre. Elle identifie ainsi Cézanne lui-même dans l'homme allongé vêtu de noir reprenant la pose de Sardanapale dans l'œuvre de Delacroix. La femme nue, de face, provocante, reprend la Bellone de Rubens dans l'Apothéose d'Henri IV et le nu couché s'inspire du marbre antique L'hermaphrodite, toutes œuvres qui sont au Louvre. Pour les rapports entre les personnages, elle exploite deux autres œuvres de Cézanne, contemporaines et de même format, La tentation de St Antoine et Le déjeuner sur l'herbe qui intègrent Zola dans leur représentations et qui est ici assimilé à l'homme qui fume dans le bateau. Sa conclusion est formelle : « Dans Pastorale, il utilise l'hermaphrodite comme son alter ego ... il s'interroge ici sur son identité sexuelle... nous nous trouvons par conséquent en présence de deux images de l'artiste, le réel et sa projection symbolique. L'incarnation visuelle de la peur (des femmes, de la tentation, du rejet) apparaît au début de sa liaison avec Hortense Fiquet. Ces tableaux semblent annoncer l'union négative que leur mariage devait inévitablement devenir ».

            Si j’exploite maintenant la piste de l'arbre comme expression du corps sexué, un champ de force radicalement neuf s'exprime dans la composition, au-delà du système des obliques et des verticales mentionné dans l'analyse de M.L. Krumrine, et qui éclaire plus crûment encore la problématique sexuelle du peintre.

            Curieusement, dans les longs développements qu'elle consacre aux personnages du tableau, la femme nue, debout, de dos, derrière Cézanne n'est pas vraiment analysée. Cette femme aux longs cheveux blonds regarde vers l'autre rive où se dresse un bouquet d'arbres dans lequel il est aisé de reconnaître un sexe masculin dressé, sans forcer l'interprétation. Le désir de cette femme c'est l'homme. Mais le reflet du bosquet dans la rivière nous ramène sur la rive de départ. L'image du sexe dressé, en son reflet, s'aligne sur l'étroit goulot d'une bouteille posée sur la berge, un verre à proximité. S’efforcerait-il de forcer « la porte étroite » ? La silhouette de la bouteille s'inscrit sur le bleu de l'eau, entre deux flaques roses, reflet de l'horizon. En symétrie par rapport au goulot de la bouteille on retrouve le bleu intense du pantalon de l'homme assis dans le voilier et le bleu plus clair du drapé d'où émergent les fesses ocre-rose de l'hermaphrodite. Comme en écho, dans la masse crayeuse du corps des deux femmes, les fesses de la femme nue, de dos, reprennent cette couleur rose, plus pâle certes, qui, sur l'horizon, divise le ciel et l'eau et se perd sur l'alignement des yeux du peintre en Sardanapale. Cette structure spiralaire de la composition se ferme sur Cézanne-Sardanapale alors qu'aux deux marges, s'opposent la femme tentatrice qui se dévoile et l'homme-Zola, indifférent en son bateau, qui met les voiles ...

L'œuvre me semble dès lors pouvoir se lire en trois temps inscrits dans une même image, selon une tradition iconographique très ancienne :

* l'amitié-amour non réciproque qui s'exprime du point de vue de Cézanne dans le couple formé au premier plan sur la berge par Zola assis (même position de corps que celle de l'homme assis dans le bateau, même couleur de veste que dans le tableau La lecture chez Zola) et Cézanne-hermaphrodite allongé;

* la tentative de séduction ouverte par le dévoilement provocateur de la part féminine de Cézanne que Zola ne remarque pas ou fuit comme dans la Tentation de St Antoine ;

* la réflexion de Cézanne-Sardanapale sur l'offre à faire, en ligne d'horizon de la tentation, la plus désirée sur cette berge, ce qu’il a “derrière la tête”, ce second terme de l'alternative impliquant l'autre rive.

            Avec cette œuvre de Cézanne – et bien d'autres en ce siècle – on se retrouve principalement du côté de l'inconscient et non plus du caché.

Le peintre ne peint plus sur commande et selon un programme – tradition qui s'est fossilisée au19e siècle dans le Prix de Rome – mais il cherche de plus en plus à s'exprimer dans son travail sur la matière, les formes, les couleurs, au prix même de l'incompréhension des contemporains. (Cézanne, « un grand génie avorté » pour Zola en 1896. Vive “les copains d’alors” !). Mais Cézanne, en même temps qu'il assume totalement une révolution picturale qui va le conduire à la Sainte Victoire en ce 20e siècle naissant, voit son inquiétude, son ambiguïté sexuelle, se développer tout au long de sa vie. Le thème des Baigneurs puis des Baigneuses devient le lieu privilégié de son expression, couplé au problème de son enracinement catholique de plus en plus fort sur la fin de sa vie. L'œuvre fonctionne alors comme lieu de l'expression inconsciente de l'image du corps du peintre.

            M.L. Krumrine en fournit un exemple saisissant dans son ouvrage, sans pourtant aller au bout de l'interprétation (non vu ou autocensure ?). Au terme de sa vie, alors qu'il travaille sur les Grandes Baigneuses depuis 1895, Cézanne opère en 1905 une reprise très significative sur la toile qui va partir dans la Collection Barnes, à Mérion.

Paul Cézanne Les grandes baigneuses (huile sur toile ; 1895-1906 ; 132 cm x 219 cm) – Barnes Foundation, Mérion (USA)

Sur une photographie de 1904, le personnage debout à gauche en marche présente un visage qui ressemble très nettement à Cézanne, ainsi présent dans l'œuvre comme il l'est dans Pastorale et dans bien d'autres toiles. Dans la correction opérée, le personnage est raccourci et semble devenir une baigneuse « au corps épais et court, à la poitrine haute [qui] se prolonge dans son cou allongé et large et sa tête sans trait bien marqué est réduite à une boule ». Ce qu'occulte cette description – mais qui, face à la toile exposée à Orsay lors de l'accrochage de la Collection Barnes (1993), était une évidence – c’est un sexe en érection dans la combinaison seins->testicules, tête->gland !

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Ce sexe se met en marche à partir d’un arbre “masculin” : consciemment pour Cézanne cette branche cassée poursuit la diagonale de l’axe du marcheur et contribue à l’armature géométrique de l’oeuvre. Inconsciemment, Cézanne ne s'est pas retiré de l'œuvre. Sa quête de « l’obscur objet du désir » se trouve près du gros arbre de droite : ses branches ouvertes et levées de part et d’autre du tronc répliquent la position des bras des 2 personnages près de lui. Ce sexe en marche vers l’autre bord du tableau, sans un regard (façon de parler, car il n’y a pas de visage) pour le groupe des femmes assises, est visiblement tendu vers les 2 personnages debout. En avant de l’arbre, c’est, sans doute aucun, une tentatrice. Mais pour le personnage appuyé contre le tronc ? Son visage et l’ombre sur son bas ventre, plus un sexe masculin en érection dans une représentation “timide” qu’une fente vulvaire, en font à mes yeux un tentateur. Cézanne est peut être en marche, à la veille de sa mort, vers une acceptation de son homosexualité latente.

 … Aragon après la mort d’Elsa …

En vous souhaitant le plaisir d'autres découvertes ...

Note pour mémoire : voici le texte célèbre Le Mot et la Chose (Gabriel Charles, abbé de Lattaignant – 1697-1779)

Madame quel est votre mot
Et sur le mot et sur la chose
On vous a dit souvent le mot
On vous a fait souvent la chose
Ainsi de la chose et du mot
Vous pouvez dire quelque chose
Et je gagerais que le mot
Vous plaît beaucoup moins que la chose
Pour moi voici quel est mon mot
Et sur le mot et sur la chose
J'avouerai que j'aime le mot
J'avouerai que j'aime la chose
Mais c'est la chose avec le mot
Mais c'est le mot avec la chose
Autrement la chose et le mot
A mes yeux seraient peu de chose
Je crois même en faveur du mot
Pouvoir ajouter quelque chose
Une chose qui donne au mot
Tout l'avantage sur la chose
C'est qu'on peut dire encore le mot
Alors qu'on ne fait plus la chose
Et pour peu que vaille le mot
Mon Dieu c'est toujours quelque chose
De là je conclus que le mot
Doit être mis avant la chose
Qu'il ne faut ajouter au mot
Qu'autant que l'on peut quelque chose
Et que pour le jour où le mot
Viendra seul hélas sans la chose
Il faut se réserver le mot
Pour se consoler de la chose
Pour vous je crois qu'avec le mot
Vous voyez toujours autre chose
Vous dites si gaiement le mot
Vous méritez si bien la chose
Que pour vous la chose et le mot
Doivent être la même chose
Et vous n'avez pas dit le mot
Qu'on est déjà prêt à la chose
Mais quand je vous dis que le mot
Doit être mis avant la chose
Vous devez me croire à ce mot
Bien peu connaisseur en la chose
Et bien voici mon dernier mot
Et sur le mot et sur la chose
Madame passez-moi le mot
Et je vous passerai la chose.

Jean BARROT

TEOTIHUACAN

Connaissance & Partage

TEOTIHUACAN

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Ayant organisé en 2010 un voyage de 3 semaines sur le plateau central du Mexique, j’ai bien évidemment consacré une journée à la visite du site de Teotihuacan. J’avais auparavant visité l’exposition que le musée des Arts Premiers du quai Branly avait consacrée à ce site l’année précédente. Dès l’entrée une superbe maquette donnait une bonne idée de la monumentalité du site.

Son nom est celui que lui ont donné les Aztèques et que le franciscain Bernardino de Sahagun, qui a pu rencontrer des survivants de la conquête espagnole, propose de traduire par « lieu de réunion des dieux ». L’appellation la plus courante aujourd’hui est simplifiée en « cité des dieux ». Lorsque les Aztèques découvrent ce lieu au 14e siècle, ils n’en voient que la masse imposante des pyramides et quelques ruines qui émergent d’une végétation qui recouvre tout le site. Car la cité est abandonnée depuis au moins 7 siècles et la nature a repris ses droits. On ignore le nom du peuple qui l’a édifié et à fortiori le nom de la ville. Mais on sait qu’elle fut un grand centre de civilisation qui a rayonné sur une bonne partie de la Méso Amérique. Les fouilles archéologiques sur le site prennent vraiment de l’ampleur au 20e siècle et conduisent à un dégagement des ruines de leur gangue végétale et au démarrage de la restauration des principaux monuments. Classé au patrimoine de l’UNESCO en 1987, le site est toujours en cours de fouilles, car seul le cœur monumental de la cité est mis en valeur, plus de 90% de celle-ci restant encore enfouis.

Née au cours du 2e siècle avant notre ère, la ville amorce son expansion au cours du 2e siècle de notre ère. Les 2 grandes pyramides du Soleil et de la Lune, ainsi que le grand axe cérémoniel sont élaborés. A partir du 3e siècle, la pyramide du Serpent à plumes et la Citadelle sont érigées à l’extrémité de l’axe cérémoniel.

1-Site satNB : la ligne qui traverse le cliché n’est que la trace de l’assemblage des 2 clichés satellites nécessaires à la vision totale du site. Au centre elle recoupe la pyramide du soleil. La pyramide de la Lune est à droite du cliché (N) la Cit…

1-Site sat

NB : la ligne qui traverse le cliché n’est que la trace de l’assemblage des 2 clichés satellites nécessaires à la vision totale du site. Au centre elle recoupe la pyramide du soleil. La pyramide de la Lune est à droite du cliché (N) la Citadelle et la pyramide du Serpent à plumes est à gauche (S)

Sous chacune de ces pyramides on a découverts des tunnels. Au début des années 70 un premier tunnel sous la pyramide du Soleil a dans un premier temps été considéré comme une grotte naturelle. Des recherches plus minutieuses ont montré qu’il était artificiel mais fortement endommagé par le pillage opéré par les Aztèques. Et depuis d’autres tunnels, ceux-là intacts, ont été découverts et pour certains explorés. La fouille de celui sous la pyramide du Serpent à plumes, amorcée en 2009, a livré plus de 100 000 objets, quatre grandes sculptures en pierre verte qui représenteraient les fondateurs de Teotihuacán, des céramiques, des objets en bois, en pyrite, en ardoise, en jade, de l’ambre, des balles en caoutchouc, des os d’animaux, des fragments de peau humaine, des coquillages et des coquilles d’escargots gravées de glyphes mayas, qui démontrent l’ancienneté des liens entre cette cité et la grande civilisation du Sud. Et en 2017 un nouveau tunnel a été détecté entre la plateforme cérémonielle de la place de la Lune et la pyramide. Toutes ces galeries garnies d’offrandes et d’êtres sacrifiés (animaux ou humains) révèlent l’importance que joue l’inframonde dans la continuité de la vie : c’est sous terre que se prépare les germinations futures.

La ville connaît alors une période d’apogée, nouant des relations commerciales et culturelles avec le monde maya du Yucatan. Elle occupe une superficie de plus de 80 km2 regroupant au moins 200.000 habitants. Une violente crise affecte la cité vers la fin du 6e siècle. Les traces d’incendies et de destruction de bâtiments et de statues ont longtemps été interprétées comme la conséquence d’une invasion. Les travaux actuels penchent plutôt pour une révolte interne à la cité : les destructions se sont limitées aux symboles du pouvoir : certaines statues semblent avoir été méthodiquement détruites et leurs fragments dispersés. Toutes les structures et habitations associées avant tout à la classe dirigeante ont été affectées tandis que les districts plus pauvres ne furent presque pas touchés. La cité décline alors rapidement avant d’être totalement abandonnée au début du 8e siècle.

Sur place, lors de la visite, je me rends compte que la maquette vue au musée Branly, déconnectée de son environnement, ne rend pas compte d’une réalité qui me paraît essentielle pour la compréhension de la localisation de la cité.

Elle est implantée sur un vaste glacis qui débute au nord, détaché de la montagne que forme l’ancien volcan Cerro Gordo et s’abaisse progressivement vers le sud. Tout l’alentour, jusqu’à l’horizon, forme une vaste plaine où l’eau est abondante. On est là au cœur d’un espace potentiellement favorable à l’agriculture. Arrivant sur le site au niveau de la grande place cérémonielle au pied de la pyramide de la Lune, en regardant celle-ci je suis frappé par le fait que sa silhouette réplique le mont qui se dresse en arrière et le masque lorsqu’on se rapproche de la pyramide. Celle-ci devient alors par substitution la montagne.

2-Pyr Lune

2-Pyr Lune

Monté sur la pyramide de la Lune et regardant alors en direction du sud on peut remarquer une dissymétrie entre les bordures ouest et est de l’axe cérémoniel. Sur le bord ouest se dresse l’imposante pyramide du Soleil. En prolongeant le regard au delà celle-ci, dans son axe, je remarque alors qu’elle vient en partie masquer la silhouette du sommet le plus élevé de la ligne montagneuse qui se dessine à l’horizon. La dissymétrie de la montagne est répliquée par l’étagement des paliers de la pyramide du Soleil. Et comme pour la pyramide de la Lune, la silhouette de cette pyramide, vue du sol, vient se substituer à celle de la montagne à l’horizon.

3-Pyr Soleil

3-Pyr Soleil

Par contre, sur la droite du grand axe – donc vers l’est – il n’y aucune trace de pyramide de grande taille, mais un alignement de plateformes à 4 niveaux au maximum auquel ne répond à l’horizon qu’une ligne de collines basse.

4-axe coté est

4-axe coté est

A l’extrémité sud de l’axe cérémoniel dans sa bordure ouest, un vaste périmètre de 400m x 400m, baptisé « la Citadelle » comporte la 3ème grande pyramide du site. Son temple du Serpent à Plumes est le monument le plus richement décoré de la ville. Il aurait comporté sept degrés, et ses quatre faces étaient décorées de grandes têtes sculptées de serpents à plumes, au nombre de 360, faisant référence au calendrier solaire (par opposition au calendrier rituel qui comptait 13 mois de 20 jours). Plusieurs dépôts de squelettes humains, mains liées dans le dos, y ont été découverts lors de fouilles. Ces squelettes étaient accompagnés d'objets précieux (coquillages, objets de jade ou d'obsidienne) permettant de penser qu'il s'agissait là de sacrifices humains rituels.

5-Pyr serpent

5-Pyr serpent

En prenant en considération tout ce dispositif des monuments et de l’espace naturel, je propose donc aux amis qui voyagent avec moi une interprétation articulant microcosme et macrocosme, mode de pensée courant en Mésoamérique précolombienne.

Mais pas que… parmi tous les exemples, celui du jardin chinois me paraît le plus représentatif. Articulé sur la présence du yin (eau circulante ou en bassin) et du yang (éminence “montagne” surmontée ou non d’un pavillon) il est le lieu où le lettré, le sage, peut méditer sur la vie et le monde. Ce que le poète William Blake exprime ainsi : « Dans un grain de sable voir un monde, Dans chaque fleur des champs le Paradis » au moment où le jardin à l’anglaise inspiré du modèle chinois détrône en Europe occidentale le jardin à la française).


Le site de Téotihuacan me paraît être la « maquette » de la plaine agricole exploitable dans laquelle les cérémonies propitiatoires pour de bonnes récoltes peuvent se tenir, le centre cérémoniel concentrant dans une réplique humaine les potentialités de l’environnement naturel. Les cérémonies intra, dans les temples au sommet de pyramides ou dans les galeries en dessous, ayant pour mission de rendre l’extra le plus favorable possible. Ce rapport a été ignoré dans les recherches archéologiques, concentrées sur la fouille et la reconstitution des architectures. Dans l’ouvrage de Maria LONGHENA, MEXIQUE ANCIEN, que j’avais étudié en préparant ce voyage, une photo (p. 176) pourtant très explicite, n’est pas commentée. Et si vous faites un tour sur Wikipédia à l’article Téotihuacan, alors que la 1ère photo illustrant l’article est particulièrement parlante, vous constaterez que cet aspect du problème n’est évoqué que de façon allusive. Le texte se borne à indiquer que « cette disposition constitue un cosmogramme, c'est-à-dire la représentation symbolique du monde sur un plan horizontal » sans références aux horizons du site.

Une objection vient alors : je peux proposer cette hypothèse parce que les pyramides existent et que je peux voir cette relation. Mais pour des hommes arrivant sur le site nu ? Comment vont-ils déterminer ce champ de relation ? Le positionnement de la pyramide de la Lune me paraît être le point initial de l’organisation de l’ensemble. Il est facile à déterminer : c’est le point de départ le plus élevé sur le glacis. En renfort de cette affirmation je remarque qu’elle se dresse au milieu de l’axe cérémoniel. De ce point une visée vers le sud vrai (l’axe cérémoniel est sensiblement décalé vers l’est) se termine sur la montagne culminante à l’horizon. Autre argument en renfort de son rôle bien particulier dans la disposition du site : les recherches ont montré qu’elle a été plusieurs fois remaniée alors que celle du Soleil, bien que plus considérable, semble avoir été édifiée en un seul chantier continu. Le positionnement de la pyramide du Soleil se fait au milieu de l’axe dans le périmètre initialement retenu. Regardez bien l’image satellite, vers la gauche : une ligne droite verticale continue de végétation balise cette limite. A droite l’axe cérémoniel est bordé d’une série de petits podiums qui portaient des temples. A gauche de cette limite, il n’y en a plus. Tout le secteur de la Citadelle et de la pyramide du Serpent à plumes me semble une extension de la ville à partir du périmètre initial, extension qui se dote de son propre site cultuel.

Dernière question à aborder : la situation des 2 pyramides directrices de l’implantation de la ville initiale étant déterminée, par quoi commencent les bâtisseurs ? Les galeries souterraines ou l’élévation de la pyramide ? Je n’ai pas de réponse claire à vous fournir : il est probable qu’une galerie initiale ait valeur d’acte de fondation (équivalent de notre rituel de pose de la 1ère pierre). Mais je pense que d’autres ont pu être creusées ultérieurement sous les pyramides édifiées, pour réactiver par de nouvelles offrandes, les bonnes dispositions de l’inframonde envers les hommes en surface. La poursuite des découvertes de nouvelles galeries sur le site me semble un bon indice de la chronologie que je propose.

Quelques temps plus tard après mon retour de ce voyage, avec cette interprétation en tête, j’ai découvert l’ouvrage de Philippe DESCOLA, PAR-DELA NATURE ET CULTURE. J’ai donc pris l’initiative de le contacter pour lui soumettre ma réflexion.

« La lecture de votre ouvrage soulève pour moi deux questions.

* Mon regard de géographe scrutant le “paysage naturel” est-il légitime pour interpréter ainsi le site cérémoniel ou est-ce un abus de l’héritage d’une “ontologie naturaliste” (prévalence du regard en balayage depuis le “point légitime”) ?

* Peut-on lire ce dispositif dans la perspective d’une « ontologie analogique » et si oui, existe-t-il des interprétations du site en relation avec ces observations ? »

Je vous livre donc un extrait de sa très aimable réponse, qui constituera la conclusion de cette petite note :

« Pour l’essentiel, vos intuitions sont justes. A Teotihuacan, il y a bien un processus de “capture” de l’environnement montagneux de l’arrière-plan et duplication à une autre échelle dans la cité. C’est ce que montre clairement la grande spécialiste mexicaine de Teotihuacan, Linda Manzanilla, avec qui j’ai eu le plaisir de pouvoir m’en entretenir sur le site même. Il s’agit donc bien d’un dispositif “analogiste”. Il est certain, en tout cas, que comme je l’écris dans PAR-DELA NATURE ET CULTURE, les collectifs analogistes ont engendré des formes très particulières d’aménagement de l’espace, fondées sur l’alignement des sites, la réplique cosmologique, le jeu sur les hiérarchies emboîtées et un dialogue avec les éléments marquants du relief. »

A NOTER:

Si vous souhaitez prolonger votre découverte de Teotihuacan, je vous signale le très riche dossier de l’exposition du musée du quai Branly, mis en pièce jointe mais aussi téléchargeable en pdf à votre convenance

DOSSIER PÉDAGOGIQUE-TEOTIHUACAN-MUSÉE DU QUAI BRANLY

Et je vous livre ces quelques photos, prises lors du voyage, pour réveiller vos souvenir si vous avez fait cette visite ou pour vous donner envie d’y aller si le Covid vous prête vie…

6-détail PSUne face bien restaurée de la pyramide du Serpent à plumes. L’escalier est bordé des têtes du serpent, tandis que le système “talud-tablero” met aussi en valeur des têtes de Tlaloc le dieu de la pluie, chaque “talud” reposant sur un serpe…

6-détail PS

Une face bien restaurée de la pyramide du Serpent à plumes. L’escalier est bordé des têtes du serpent, tandis que le système “talud-tablero” met aussi en valeur des têtes de Tlaloc le dieu de la pluie, chaque “talud” reposant sur un serpent ondulant.

7-détail PS MuséeCette reconstitution au Musée archéologique National de Mexico restitue la couleur des flancs de la pyramide du Serpent à plumes.

7-détail PS Musée

Cette reconstitution au Musée archéologique National de Mexico restitue la couleur des flancs de la pyramide du Serpent à plumes.

8- fresque in situAu long de l’axe cérémoniel on rencontre des restes de fresques comme ici ce jaguar animal redouté mais révéré

8- fresque in situ

Au long de l’axe cérémoniel on rencontre des restes de fresques comme ici ce jaguar animal redouté mais révéré

9- fresque muséeAu Musée archéologique National la reconstitution de cette fresque est présentée comme une scène d’offrande à la divinité protectrice de la ville.

9- fresque musée

Au Musée archéologique National la reconstitution de cette fresque est présentée comme une scène d’offrande à la divinité protectrice de la ville.

 Jean BARROT









DANGERS DU VOLCAN, TENACITE DES HOMMES

Connaissance & Partage

Dangers du volcan, ténacité des hommes

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2 – Montserrat

Longue de 16 km pour 11 km de large, l’ile de Montserrat a longtemps été considérée comme la « perle émeraude » du collier des Petites Antilles. Disputée entre la France et l’Angleterre, elle est définitivement rattachée à la Couronne britannique à la fin du 18e siècle et est aujourd’hui un dominion membre depuis 1981 de l’Organisation des Etats de la Caraïbe orientale (OECO).

Dans cette ile, loin du tohu-bohu du monde, les pauvres restaient pauvres, s’acharnant à survivre en grattant quelques lopins de terre, les petits riches, retraités canadiens et américains, s’y livraient au farniente à proximité des rivages, et les vraiment riches y passaient souvent sur leurs yachts dans ses eaux turquoises. Certains même s’y fixaient. En vacances dans les années 1970, George Martin, le producteur des Beatles, tombé amoureux de l’ile, en fait l'épicentre de la scène musicale internationale.

Dans des studios à la pointe de la technologie, il reçoit entre autre Elton John, Stevie Wonder, Dire Straits, Paul Mc Cartney, Michael Jackson, Duran Duran, Mick Jagger, Eric Clapton, Lou Reed, éditant près d’une centaine d’albums, tous tubes internationaux.

Bref, « tout était pour le mieux dans le meilleur des monde possible » comme le répétait inlassablement Pangloss à son élève Candide.

Mais voilà : cette ile est volcanique et de la pire espèce. Sa Soufrière (nom hérité de la période de tutelle française) est un volcan “gris”. Endormi depuis au moins 4 siècles (aucune éruption connue à partir de la colonisation qui peuple l’ile d’esclave noirs), il n’exhalait de temps en temps que des vapeurs soufrées. La menace la plus constante sur l’ile était constituée par de terribles ouragans. Mais après leurs passages, on reconstruisait et la vie continuait. Jusqu’en 1992 …

COMME TOUT L’ARCHIPEL DES ANTILLES, L’ILE SE TROUVE SUR UNE LIMITE D’AFFRONTEMENT DE PLAQUES TECTONIQUES.

1-Carte plaques

1-Carte plaques


Poussée vers l’est par la plaque Pacifique, la plaque des Cocos passe en subduction sous la plaque Caraïbe, ce qui a provoqué l’émersion de sa bordure occidentale depuis 5 à 6 Millions d’années, coupant la communication entre le Pacifique et l’Atlantique en assurant topographiquement la liaison de l’Amérique du Nord et de l’Amérique du Sud. Sous l’effet de cette poussée sur sa marge occidentale, la plaque Caraïbe progresse vers l’est venant buter contre les plaques Nord Atlantique (PNA sur la carte) et Sud Atlantique (PNA sur la carte)  qui migrent vers l’ouest depuis le rift de la dorsale medio atlantique.  Ces 2 méga plaques coulissent selon un système de failles transformantes qui forment la limite nord de la plaque Caraïbe. 


Comme Haïti se situe sur la grande faille transformante qui fait glisser le bloc Caraïbe vers l’Est alors que la plaque Nord Américaine progresse vers l’Ouest, les tremblements de terre qui l’affectent sont de ripage (donc à foyer peu profond) sans tsunami (pas de rebond du plancher océanique comme dans les subductions) ni volcanisme (pas d’interférence avec les magmas). Mais qui dit foyer peu profond dit effet maximum…

Au contact du plancher océanique de l’Atlantique Sud, la progression de la plaque Caraïbe vers l’est a entraîné l’émergence d’une guirlande insulaire volcanique, l’arc caraïbe. La plongée en subduction de la plaque sud américaine – d’une densité beaucoup plus élevée que celle de la plaque Caraïbe – entraîne dans le manteau (asthénosphère sur la coupe) des matériaux très diversifiés et gorgés d’eau. Entrant en fusion, devenus des magmas très chargés en gaz, ils tendent à s’évacuer vers la surface. Ces magmas de néogénèse sont très acides et très visqueux , remontant lentement dans les conduits volcaniques. En surface, ces conduits sont le plus souvent obstrués par de bouchons de laves solidifiées. Lorsque l’activité de la chambre magmatique s’intensifie, la pression des laves s’accroit dans les conduits jusqu’à ce que le bouchon explose ouvrant la voie à l’éruption volcanique.

2- coupe arc

2- coupe arc

C’est ce mécanisme qui a entraîné l’explosion de la Montagne Pelée en Martinique au début du 20e siècle, provoquant la destruction totale de la ville de Saint Pierre, le «petit Paris » des Antilles françaises. C’est ce même mécanisme qui a provoqué la destruction de la ville de Plymouth, capitale de l’ile de Montserrat à la fin du 20e siècle.

UNE LONGUE PHASE ÉRUPTIVE ENCORE INACHEVÉE

L’éruption de la Soufrière s’annonce à partir de 1992 par des tremblements de terre de faible intensité et sans grands dégâts mais qui témoignent de l’amorce de la remontée du magma. L’éruption proprement dite débute en juillet 1995. Le bouchon solidifié se fragmente sous l’effet du phréato magmatisme (l’eau infiltrée depuis la surface entre en ébullition au contact du magma remontant et fait exploser la masse rocheuse du bouchon). L’effondrement principal se produit vers l’est alimentant une coulée de type pyroclastique qui s’écoule jusqu’à la mer. Peu de temps après, l’éruption se poursuit par une intense émission de cendres et de débris qui recouvre Plymouth d’une couche de plusieurs décimètres, sans faire de victimes, la ville ayant été évacuée dès l’amorce de l’éruption. Une partie de la population a émigré soit sur des iles voisines soit vers les familles déjà installées en Grande Bretagne ou aux Etats Unis. Les plus pauvres et les plus attachés à l’ile sont confinés dans le nord, hors du champ d’action du volcan et hébergés en urgence dans des conteneurs sommairement aménagés.

3-cendres

3-cendres


Tout au long de l’année 1996, un dôme de laves fraîches se construit, ces laves andésitiques étant si pâteuses qu’elles ne peuvent s’écouler. Ce dôme s’élève, alimentant par des éboulements latéraux des coulées dans les vallées des rivières descendant de la montagne, provoquant des dégâts de plus en plus importants.


C’est au printemps 1997 que je vais pouvoir visiter l’ile, par l’entremise de l’Université, en compagnie du professeur Jeremy, (merci Jocelyne) responsable de la Sécurité Civile en Guadeloupe (déjà affectée pars des retombées de cendres). Le petit aéroport de l’ile, installé sur le lobe d’une ancienne coulée de laves, est encore utilisable. Mais alors que la zone autour est décrétée évacuée, nous pouvons voir de nombreux paysans s’activant sur leurs champs. Il s’agit de ne pas manquer les récoltes, seul moyen de subsistance pour une part importante de la population restante. Le dôme extrudé fume, gronde et laisse voir des éboulements continus qui empruntent la vallée dévastée par les coulées de 1996.

4-Dôme

4-Dôme

5- vallée 1ère coulée

5- vallée 1ère coulée

A l’approche de la piste où nous allons atterrir, nous découvrons l’état de la vallée empruntée par la première coulée pyroclastique dans les premières semaines de l’éruption. Toute végétation y a disparu et un lobe s’est construit en mer ;

Notre impression est que le rempart qui protège les vallées vers le nord-ouest est trop entaillé, avec des seuils surbaissés, pour assurer un confinement des coulées dans la vallée déjà utilisée et pour protéger la partie sud-orientale de l’ile : si une coulée a pu jadis élaborer le lobe qui accueille l’aéroport, on peut penser que cela se reproduira. Mais nous ne pouvons pas approcher le dôme de trop près, sécurité oblige.

Nous gagnons alors Plymouth, autre zone interdite aux non professionnels. Pour des raisons de sécurité, mais aussi pour éviter les pillages dans les maisons abandonnées. Car la ville que nous découvrons donne un sentiment d’étrangeté. On a l’impression qu’un bon nettoyage pourrait lui redonner vie. Dans cette perspective, des engins de chantier s’emploient à recalibrer la rivière qui la traverse pour éviter que des crues viennent aggraver sa situation. Mais un examen plus poussé, en montant dans les hauteurs, montre que de puissants lahars (reprise de dépôts volcaniques sous l’effet d’un afflux d’eau qui déclenche des coulées boueuses en vrac) ont déjà dévasté une partie des quartiers populaires

6-maison

6-maison

7-Lahar

7-Lahar

Le pire reste à venir : au cours de l’été 1997 le nouveau dôme explose à son tour et une éruption majeure débute. La masse de matériaux qui le constituait, mêlée aux laves fraîches, alimente des coulées pyroclastiques (des avalanches à écoulement très rapide de roches chaudes, de cendres et de gaz acides qui descendent sur les flancs du volcan à des vitesses pouvant atteindre jusqu’à 300 km/h) d’une ampleur considérable et qui s’écoule dans des vallées encore intactes. Neuf villages ainsi que l'aéroport sont détruit, et dix-neuf personnes décèdent. La ville de Plymouth est alors totalement ensevelie.

8-Plym av-ap

8-Plym av-ap

9-Capture d’écran

9-Capture d’écran


J’ai réalisé cette capture d’écran sur une petite vidéo concernant l’éruption de 1997. J’ai saisi le moment qui montre le front d’une coulée pyroclastique, qui a sauté le rempart autour du cratère (sur la carte ci-dessous, il est indiqué par la ligne noire épaisse) s’engageant dans une vallée à la végétation intacte. Après on passage la vallée va ressembler à celle de la photo 5.

10-bilan 95-99

10-bilan 95-99

Mais l’activité volcanique ne cesse pas. Les 2 années 1998 et 1999, marque un répit après la violente crise de 1997. Des explosions faibles à modérées accompagnent plusieurs effondrements qui se produisent sur le dôme reconstitué. A partir de 2000, la croissance de celui-ci reprend de l’ampleur, générant à 3 reprises d’importants effondrements avant qu’une phase de repos se manifeste de 2003 à 2005. Au cours de l’été 2005 l’activité reprend de la vigueur : l’extrusion de laves fait croître un nouveau dôme soumis à écroulement périodique. Elle connaît un paroxysme en février 2010 avec un énorme panache de cendres qui monte à une quinzaine de km d’altitude et de puissantes coulées pyroclastiques qui atteignent la mer y formant un vaste lobe.

Au total depuis 1995, la surface de l’ile s’est accrue de 2 km2.

Beaucoup de chercheurs s’interrogent sur le rapport qu’il pourrait y avoir entre le tremblement de terre d’Haïti (janvier) et l’éruption de Montserrat (3 semaines plus tard) : aurait-il pu déstabiliser la chambre magmatique sous l’île ? En l’état actuel des recherches la question reste ouverte …

UN AVENIR POUR L’ILE ?

Le volcan, malgré le répit, reste une menace, générant même une fausse alerte en 2018. Mais l’intense surveillance à laquelle il est soumis conduit à une conclusion inquiétante : la chambre magmatique continue d’être alimentée, sur un rythme certes ralenti. Il est donc encore trop tôt pour conclure à la fin de l’activité éruptive….

Et pourtant une partie de la population s’accroche. Et certains qui avaient quittés l’ile reviennent. Si l’ile a perdu à peu près les 2/5 de sa population (elle se réduit à un peu plus de 5000 habitants environ), ceux qui restent rêvent de relancer l’activité de l’ile. Le nouveau gouvernement entré en fonction en 2015, suite à des élections, veut faire du volcan le pilier de la reconstruction de l’ile qu’il a failli détruire. Trois pistes sont retenues : l’exploitation de la géothermie comme source de production électrique, pour se substituer aux 4 générateurs diesel, insuffisants pour assurer une fourniture d’électricité en continue ; l’exportation de sable à partir de l’abondante fourniture des éruptions ; la relance du tourisme sur le thème de la découverte de Plymouth « la Pompéi Moderne », « la Pompéi des Antilles ». Le mot d’ordre en anglais et joli et explicite « Ash for Cash ».

Mais l'accès à l'île reste très difficile. Le nouvel aéroport est petit et ne peut accueillir que des avions à six places. Un service de ferry privé opère depuis Antigua mais sur un rythme réduit et impose l’escale à Antigua pour gagner Montserrat. L’avers positif de cette médaille est que l’ile a renforcé son caractère de sanctuaire naturel, d’un environnement plus vierge en comparaison de la bétonisation qui affecte les iles voisines.

Aussi seuls 7000 touristes ont tenté l’aventure de découvrir cette ile martyre en 2017 et les « investisseurs internationaux » ne se pressent vraiment pas au portillon …

Jean BARROT























PETROGLYPHES 1ERE ETAPE : L’EUROPE

Connaissance & Partage

PETROGLYPHES 1 ÈRE ETAPE : L’EUROPE


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Puisque les séries ont le vent en poupe à la télé, en voici une qui se propose de vous faire faire un petit tour du monde en me suivant sur les sites que j’ai visité au fil de mes voyages

Si l’art pariétal des grottes est bien connu du grand public qui se presse en nombre pour visiter les « fac-simile » de grottes aussi célèbres que Lascaux ou Chauvet ou les nombreuses grottes réelles parfaitement accessibles, la notion même de pétroglyphe est le plus souvent ignorée, alors que la France en détient un des sites les plus fameux, au moins d’Europe, avec les environs du Mont Bégo et la Vallée des Merveilles dans le parc national du Mercantour.

Un indice de ce constat. Il fut un temps où les gens s’écrivaient et validaient leur envoi par l’utilisation d’un timbre : la Poste a édité plusieurs d’entre eux illustrés de représentations de cet art pariétal. Mais aucun pour les pétroglyphes de la Vallée des Merveilles…

Un pétroglyphe est un dessin réalisé sur une paroi rocheuse, parfois en abri, ou sur un rocher isolé, en plein air et donc exposé à la vue de tous, contrairement aux peintures pariétales réalisées au plus profond de grottes obscures. On en trouve un peu partout sur la planète et on continue d’en découvrir très régulièrement au fil des ans. Si ces dessins se sont conservés durant des millénaires, malgré leur exposition aux intempéries, c’est parce qu’ils sont gravés sur la roche.

Techniquement, la réalisation d’un pétroglyphe suppose un support et un outil.

* Pour le support il faut une surface, la plus lisse possible, comportant une patine qui protège la roche d’une altération en profondeur. Cette patine est le résultat de la migration de minéraux contenus dans la roche qui concrétionnent et se cimentent en surface : par exemple, la tonalité noire des roches en milieu désertique est le plus souvent le résultat de la migration du manganèse qui indure et protège alors la surface de la roche d’un vernis continu généralement très dur. Aussi, lorsqu’on attaque ce vernis on peut découvrir la teinte plus claire de la roche d’origine. Une figure peut alors apparaître…

* Pour attaquer ce vernis il faut un outil dont la dureté soit au moins équivalente à celle de la roche attaquée. Le silex est le matériau le plus fréquemment utilisé en raison de son abondance dans la nature. Mais il est aussi possible sur les roches les moins résistantes de réaliser cette attaque avec un bois de cerf, éventuellement un os. La technique la plus courante est celle du piquetage : une multitude d’impacts, décapant la surface du vernis fait apparaître tout un champ de petites cupules claires qui constituent le dessin. Ce piquetage ne jalonne pas que le contour, mais décape aussi le milieu de la figure. Plus rare, l’incision par frottage continu au long d’une ligne permet d’obtenir une entaille en V de la patine qui jalonne le contour de la forme que l’auteur veut obtenir. Le raclage de la partie intérieure au dessin peut donner des effets de “couleur”, voir de volume, qui viennent enrichir l’image réalisée. Ces 3 techniques peuvent s’associer pour un même dessin.

Si cette approche de la réalisation technique est assez facile à préciser, restent deux questions majeures qui suscitent des flots de controverses. De quand datent ces pétroglyphes ? Quelle est leur signification ? Les réponses varient évidemment énormément selon les lieux étudiés et selon les présupposés des chercheurs qui travaillent sur ces figures. Il faut donc se résoudre à admettre que ces figures conserveront à jamais une part d’énigme.

CECI POSE, SUIVANT LA FORMULE CONSACREE, « SUIVEZ LE GUIDE »…

1 – Pour commencer le circuit, je vous propose d’aller au Portugal dans la vallée de la Coa.

Ce site détient les plus anciennes gravures rupestres préhistoriques à ciel ouvert d’Europe. Découverts à partir de 1981, les sites de cette vallée affluente du Douro ont bien failli disparaître sous les eaux d’un barrage. Alors que sa construction était amorcée, un changement de majorité politique a conduit à son abandon en 1996, au classement de l’ensemble des sites au Patrimoine de l’UNESCO en 1998, à la multiplication des études depuis, et à l’ouverture au public dans des conditions d’accès très contrôlées de quelques points à partir de 2000.

Le résultat le plus assuré est la datation de ces pétroglyphes. Faute de restes organiques datables au carbone 14, les chercheurs ont pu recourir à une analyse en thermoluminescence des résidus d’usure des outils utilisés dans le fond des cupules. Les figures les plus anciennes ont environ de 28 à 30 mille ans et sont les plus nombreuses : environ 50% des figures de la vallée. A partir de ce calage dans le temps, une chronologie relative peut être établie à partir de références stylistiques bien caractérisées pour des sites pariétaux bien étudiés (Gravettien –> Solutréen –> Magdalénien). A la fin du Paléolithique, vers –12.000, la déglaciation entraine la modification de la géographie de la vallée : des sédiments s’accumulent en terrasse, ce qui va fossiliser et protéger les parties les plus basses des parois gravées. Quelque rares figures accompagnées de traces de peinture sont plus récentes (“Age du Fer” ?).

Toutes les figures évoquent un bestiaire animalier qui est surtout dominé par les chevaux : presque la moitié des figures gravées. Des bovins, des caprins, des cervidés sont aussi en nombre. Rares : les bisons, les rennes. Et très rares, les figurations humaines qui sont associées à la toute fin du Paléolithique, voir au début du Néolithique, d’après les chercheurs.

Parmi les clichés pris sur le site, je retiens ces 3 pour un examen attentif.

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Ce panneau est exceptionnel par sa lisibilité. Sur une dalle schisteuse dont le poli est remarquable (miroir de faille ?), on peut identifier 4 animaux qui se superposent pour partie. Au centre du cliché l’animal le plus imposant est un cheval. Le dessin de sa tête donne lieu à spéculation : le graveur a-t-il utilisé la découpe de la dalle pour lui donner du relief ou, plus simplement, l’érosion postérieure à la gravure a fait éclater un fragment de la roche, amputant le dessin de la tête ? A gauche, sous son garrot, une chèvre semble respecter l’échelle de taille entre les 2 animaux. Au dessus de la ligne dorsale du cheval la figure d’un bouc tourné dans l’autre sens s’identifie aisément. Par contre le repérage du 4ème  animal est plus délicat : la ligne dorsale est bien marquée ainsi que la cuisse postérieure. Il s’agit probablement d’un cheval. La ligne ventrale, amorcée par la gravure en cupules se prolonge par une ligne de cassure amputée de 2 éclats : exploitation d’une ligne préexistante ou accident provoqué par le graveur sur une zone de faiblesse de la roche ? Mais à partir de la base de la corne du bouc, le dessin perd de sa fermeté : un piquetage lâche se poursuit, incurvé vers le bord de la roche qui sert peut-être, ici aussi, à baliser le haut de la tête du cheval dont on devine le tracé de la mâchoire inférieure par piquetage. Mais le raccord avec la ligne ventrale et l’arrière-train ne semble pas avoir été achevée.

Cette représentation est typique du Paléolithique : l’animal est vu de profil, une seule patte à l’avant et à l’arrière et la figure est totalement déconnectée du sol

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Observez ce fragment de panneau. Il me semble amputé sur le haut et à gauche compte tenu de l’amorce des figures qu’on peut y voir : l’avant-train d’un cheval en haut à gauche et le départ d’une patte d’arrière-train d’un animal en haut au centre. Concentrez votre attention sur le profil des  2 chevaux dans le bas du panneau. Le dessin de celui situé à la base est d’une finesse de trait remarquable. La technique de réalisation est ici celle de l’incision, peu profonde mais d’une grande sureté d’exécution et d’un “réalisme” assumé (arrondi de la mâchoire inférieure, naseau). Le cheval en surplomb en impose par la puissance de sa gravure. Elle laisse percevoir une technique mixte de piquetage et d’incision profonde qui implique un temps de réalisation plus important pour un dessin plus frustre de la tête.

Mais ce qui apparaît mal sur cette photo, mais qui se voit bien sur le site, c’est que le corps se prolonge par 3 têtes en positions différentes : une vers le bas, une autre tendue dans l’axe, une autre vers le haut. Comme si le graveur avait voulu indiquer un mouvement (interprétation “dessin animé”) ou un troupeau (le corps du premier cachant celui des autres). Le guide sur le site plaidait plutôt pour la 1ère interprétation.  

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Ce panneau est un bon exemple de la superposition des figures conduisant parfois à l’illisibilité. Je vous épargne cette épreuve avec ce cliché qui permet cependant quelques identifications. Une tête de cheval gravée par incision se repère assez aisément. Mais pour le reste… Les dessins du haut sont plutôt élaborés à partir de cupules, celles-ci ébauchant une forme énigmatique verticale, pointue qui ne peut être rattaché à aucun animal.

Au total la vallée de la Coa comporte 30 ensembles de pétroglyphes répartis sur 17 km au long de la vallée où plus de 2.000 motifs ont déjà été identifiés sur 335 panneaux gravés. L’étalement chronologique des gravures, sur plus de 20 millénaires au moins, témoigne d’un environnement resté très favorable à l’occupation humaine lors du dernier stade de la glaciation würmienne.

2 – Poursuivons notre circuit en France pour les pétroglyphes du Mercantour

Je zappe ceux d’Olargues dans notre département (Peyro escrito, mal attestée en terme de datation) que peut-être certains d’entre vous connaissent, pour vous conduire dans la Vallée des Merveilles. L’ensemble du site est regroupé sous cette appellation bien que la vallée de Fontanalba contienne environ la moitié des figures. Le site s’étend sur plus de 1.400 ha autour du Mont Bego (culminant à 2.872m). On y a repéré plus de 40.000 gravures figuratives et plus de 60.000 signes divers répartis sur environ 3.700 roches. Mais ici pas de grand bestiaire animalier : ces pétroglyphes du Bégo que l’on peut regrouper en 2, 3 dizaines de types nous parlent d’une toute autre société que celle des hommes de la Coa.

Les supports sont de 2 sortes : de grandes dalles de schistes ou de grès, polies par l’érosion glaciaire, et des blocs erratiques transportés par les glaciers et abandonnés sur place à la fin de la glaciation würmienne. Le site est donc beaucoup plus récent (moins de 10.000 ans) que celui du Portugal.

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Au sein de cette période post-glaciaire, Néolithique au sens large, la majeure partie des figures sont considérées comme datant du Chalcolithique (Âge de la Pierre et du Cuivre) qui débute il y a environ 6.500 ans. L’élevage est désormais bien établi au sein de populations sinon nomades au moins transhumantes. Dans ce contexte, les riches pâturages d’altitude sont une ressource essentielle pour se substituer à ceux des plaines brulées des basses terres. Les figurations les plus abondantes sont des “cornus”, têtes de bovins stylisés, et des armes (poignards, hallebardes, haches, etc.). Prolifèrent aussi les figures géométriques (spirales, réticulés, etc.). En fin de période (Âge du Bronze)  on voit apparaître des figures anthropomorphes ainsi que des évocations du développement de l’agriculture : on dénombre plus de 1.200 figures représentant un attelage et une araire.

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L’enregistrement systématique de tous les pétroglyphes par Henri de Lumley (explorateur scientifique de la grotte de l’Hortus) depuis 1967 et par ses successeurs de nos jours a permis d’établir un corpus comparatif qui aide à décrypter les raisons de ces gravures. Un certain consensus s’opère pour voir dans un certain nombre de ces signes, outre l’expression d’une pensée symbolique, de véritables pictogrammes fonctionnant à ce titre comme une protoécriture, dont les hiéroglyphes égyptiens et les caractères chinois anciens sont un développement. Par contre sa signification nous échappe. Exprimant cette ignorance profonde, certaines figures anthropomorphes sont affublées de titres ridicules : le Sorcier, le Christ, le Chef de tribu, la Danseuse etc…

Les préhistoriens ne peuvent qu'émettre des hypothèses en se fondant sur d'autres cultures, d'autres lieux. Henry de Lumley voit dans les corniformes la symbolisation d’un Dieu-Taureau maître de la foudre et dispensateur de la pluie fertilisante, ou la Terre-mère dans certaines compositions de figures.

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Sur ce cliché un disque (dieu solaire ? puissance du ciel ?) prolongé de 2 lignes en zig zag (des éclairs ? : le mont Bégo est connu pour la violence et la fréquence de ses orages) serait l’expression du bienfaiteur de l’agropastoralisme. Du disque, creusé de cupules, une bande large gravée de la même manière se termine sur un glyphe représentant une grille quadrangulaire. Ce type de figure, fréquent sur le site, est interprété comme la représentation d’un parcellaire agricole. Le pétroglyphe peut donc se lire comme un orage apportant aux champs l’eau bienfaisante du ciel.

Les vallons autour du Mont Bégo seraient le lieu de l’exercice du culte de ce couple primordiale. Amplifiant cette vision, certains considèrent la montagne comme “lieu sacré” : pour vous donner une image, l’équivalent chrétien en serait l’église ou la cathédrale, l’endroit ou le chemin qui s’élève vers les divinités. Le long de cette "voie" les hommes protohistoriques auraient gravés la pierre pour sanctuariser les lieux (l’équivalent chrétien en étant le “chemin de croix”). D’autres chercheurs “laïcisent” le site en en faisant un observatoire astronomique dont certaines figures seraient l’enregistrement des observations effectuées sur les cycles de la Lune et du Soleil (pour aborder ce point, je vous suggère de consulter : « La mesure du temps saisonnier au Mont Bégo – Jérôme Magail, Archeam).

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Jean BARROT

 

COMMENT LE BOUDDHISME (RE)VINT AUX SRI LANKAIS.

Connaissance & Partage

C’est une histoire tout à fait étonnante que je veux vous raconter ici. Sans forcer sur l’effet de style ça pourrait commencer par « il était une fois… ».

On est à New York en 1875 lorsqu’est créée la Theosophical Society à l’initiative de Helena Petrovna von Hahn, plus connue sous le nom d'Helena Blavatsky. Elle est associée pour la circonstance au colonel Henry Steel Olcott comme président et au clerc d'avocat irlandais William Quan Judge comme secrétaire. Cette Société Théosophique se propose de former le noyau d'une FRATERNITE UNIVERSELLE DE L'HUMANITE, fondée sur un syncrétisme à base de traditions d'hindouisme et de bouddhisme. Pour les théosophes, toutes les religions reposent sur un « Corps de Vérité » commun que les diverses pratiques s’efforcent d’occulter. La Théosophie vise donc à encourager l'étude comparée des religions, sciences et philosophies, mais elle fait surtout de l'investigation des pouvoirs psychiques et spirituels de tout homme, le véritable sésame de la société. Car madame Blavatsky affirme que la connaissance de certains enseignements ésotériques permet de développer des pouvoirs occultes, latents dans l'Homme.

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Helena BLAVATSKY est née en 1831 en Russie. Enfant fantasque et sujette à des crises de somnambulisme, elle se passionne pour les phénomènes « paranormaux », traversant en diverses périodes de sa vie des crises psychologiques intenses à bases de mysticisme et de dédoublement de la personnalité. A partir de 1848 elle parcourt le monde en deux séries de voyages (1848-1858 puis 1865-1873), dont certains sont attestés mais dont beaucoup sont bidonnés. Elle se forge durant ses pérégrinations une doctrine “patchwork”, compilée souvent à des sources de seconde main, mêlant néoplatonisme, cabalisme, occultisme et bouddhisme fantasmés. Elle se fixe à New York en 1873 et y rencontre le colonel Olcott en 1874.


Henry Steel OLCOTT, avec une formation initial d’agronome, est devenu colonel au cours de la guerre de Sécession en travaillant dans l'intendance car, pacifiste, il s’était refusé à porter un fusil. Après la guerre il ouvre un cabinet d'avocat d’affaire et est pressenti, un temps, comme Secrétaire d’Etat aux finances des USA. Franc-maçon, il est passionné par l'occultisme et la magie. Il s'intéresse particulièrement aux phénomènes spirites qui sont très à la mode à cette époque (pensons à Victor Hugo à Guernesey…). C’est la clé de leur rencontre. Subjugué, il se converti au bouddhisme à la sauce Blavatsky, et abandonne tout pour s’engager à ses cotés.

C’est le début d’aventures rocambolesques dont H. Blavatsky est le pivot …

En 1879, ils s’embarquent pour l’Inde où ils prennent contact à Bombay avec Dayânanda Sarasvatî, le fondateur du mouvement ÂRYA-SAMAJ, favorable à une Inde traditionnelle, rompant avec le colonialisme britannique : en 1876, la reine Victoria a été couronnée « Impératrice des Indes ». Là, ils se lient avec un nouveau "compagnon", Alfred Percy Sinnett, journaliste, spirite, enthousiasmé par la théorie des « Maîtres Tibétains » de Blavatsky, qui vont lui envoyer de 1880 à 1884 des lettres d’initiation par des moyens paranormaux. Ces soi-disant “lettres des Mahatmas” furent l'objet de nombreuses controverses au sein de la Société Théosophique.


Ce trio m’évoque irrésistiblement du Sergio Leone : « Le bon, la manipulatrice et le pigeon ». Car dès 1883 il y a soupçon de tricherie dans les phénomènes évoqués. Certains des membres de la société prétendirent que les Mahatmas n'avaient jamais existé et que les lettres étaient une habile manipulation de madame Blavatsky. Une enquête, menée en décembre 1884 par la Société Royale de Physique de Londres, conclut que madame Blavatsky doit être considérée « comme l'un des imposteurs les plus accomplis, ingénieux et intéressants de l'Histoire » (selon la formule de l’enquêteur R. Hodgson). Confrontée au scandale, elle quitte l’Inde en 1885 et s’installe en Europe, d’abord en Belgique puis, à partir de 1887, à Londres, où elle meurt en 1891.


Son influence, dans une ambiance générale fin de siècle marquée par l’occultisme et l’ésotérisme, se fait particulièrement sentir dans le monde artistique, en particulier sur les « Nabis », terme traduit habituellement par « prophètes ». Maurice Denis évoque en 1918 cette période : « Nous réagissions contre le matérialisme et le naturalisme alors en faveur… Nous faisions un singulier mélange de Poe, de Plotin, de Schopenhauer. Les petites revues théosophiques étaient florissantes. Il y avait madame Blavatsky, Péladan, les expositions de la Rose-Croix. » Les plus engagés dans cette voie du bouddhisme ésotérique blavatskien, porté par la théosophie, seront Sérusier, Verkade (qui se fait moine en 1894) et Ranson qui imprègne son œuvre de créature mythiques dans des épisodes souvent hermétiques au non initié. En Belgique, Ensor et Mondrian seront aussi des adeptes de la théosophie.

Mais le destin d’Olcott est encore plus spectaculaire.

Il décide de demeurer en Inde à Adyar, centre mondial de la Théosophie, près de Madras (où il fut incinéré selon ses vœux après sa mort en 1907). Dès ses premiers contacts avec Ceylan, Olcott est totalement perturbé lorsqu’il découvre l’ignorance choquante des cinghalais sur le bouddhisme que lui connait. « C’était une situation étrange pour un nouveau converti qui venait en Asie non pour enseigner mais apprendre. Il va alors considérer les traditions religieuses de l’Asie telles que Calvin voyait l’humanité : une population déchue d’un passé édénique ».


Olcott, imprégné de l’orientalisme académique de l’Occident et converti au bouddhisme blavatskien, se met à considérer le bouddhisme des populations cinghalaises comme un faux bouddhisme, sans fondement, sectaire et crédule alors que le sien est le VRAI bouddhisme, ancien, pur, non dogmatique et non sectaire. Redoutant que cette ignorance ne provoque « une ruée de bouddhistes ignorants vers le catholicisme » (il est protestant d’origine), il se met en quête de moines susceptibles de s’engager au nom de Bouddha pour « guérir le peuple » de ses fantaisies. Mais faute d’écho, il entreprend lui-même ce travail, recrutant des assistants parmi les cinghalais anglophone de la classe moyenne. Dès 1881, il rédige un catéchisme bouddhiste qui constitue sa plus importante contribution à la renaissance du bouddhisme au Sri Lanka et qui est toujours en usage actuellement. Il est aussi à l’origine de la forme de bouddhisme qui prospère aujourd’hui aux Etats Unis.


Pour doter le bouddhisme d’un symbole unificateur, il dessine un drapeau, ce qui apparaît en Occident comme un marqueur identitaire fort des nombreux pays qui naissent tout au long du 19e siècle sur la carte du monde. Son drapeau incorpore les 6 couleurs de “l’aura” qui, en accord avec la tradition, environne chacun des endroits parcourus par le Bouddha. En 1889 ce drapeau est introduit au Japon par Anagarika Dharmapala et Olcott – qui le présentent à l’empereur qui l’agrée – et par la suite en Birmanie, partie de l’Empire des Indes tout comme Ceylan, mais qui a noué dans l’histoire des liens étroits avec celui-ci autour de la défense du bouddhisme Theravada contre le bouddhisme Mahayana.

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Lors de la conférence inaugurale  de l’amicale bouddhiste internationale (mai 1950), son président fondateur le professeur G P Malasekera proposa que ce drapeau soit adopté comme emblème du bouddhisme à travers le monde, ce qui fut adopté à l’unanimité.  Aujourd’hui plus de 60 pays l’utilise à l’occasion de la fête de Vesak.

 Il fait enfin campagne – avec succès - pour obtenir que “Vesak”, le jour qui commémore la naissance, l’illumination et la mort du Bouddha soit reconnue comme un jour férié.

A partir de 1886, il reçoit le renfort du jeune David Hewavitharana (né en 1864) qui, ayant reçut une éducation chrétienne au Collège de Kotte puis l’université de Colombo, se convertit au bouddhisme sous l’influence du colonel. Il change alors son nom en Anagarika Dharmapala et se place à l’avant garde de la lutte pour la liberté avec sa publication Sinhala Bauddhaya, qui guide les mouvements nationalistes et religieux. Car Olcott, citoyen d’un pays émancipé de la tutelle coloniale britannique encourage la revendication d’indépendance de l’ile. Ainsi dès l’origine le bouddhisme apparaît comme le marqueur identitaire incontournable de la nation sri lankaise, les minorités religieuses (installées de très longue date dans l’ile comme les musulmans et les hindouistes ou plus récemment les chrétiens) s’en trouvant exclues. Encore aujourd’hui les moines bouddhistes du Theravada forment des troupes de choc pour le nationalisme au Sri Lanka (écrasement des Tamouls) comme en Birmanie-Myanmar (pogroms anti-rohingyas). A la fin de sa vie, en 1933, Dharmapala est ordonné Bhikku (moine) à Sarnath, berceau du bouddhisme en Inde et il y meurt la même année à l’âge de 69 ans.

REV. ANAGARIKA DHARMAPALA – Statue à MATARA (SRI LANKA)

REV. ANAGARIKA DHARMAPALA – Statue à MATARA (SRI LANKA)

Mais très vite les campagnes religieuses d’Olcott se doublent de considérations ethniques qui fleurissent en Occident : descendant des nobles aryens (selon les visions occidentales) le peuple cinghalais doit retrouver sa dignité et sa prééminence en même temps qu’il revient aux sources de sa spiritualité. Par la lutte, il doit reconquérir ses droits légitimes, à une époque où il fait face à des discriminations considérables dans l’éducation, l’accès aux activités professionnelles et à l’auto gouvernement sous la tutelle coloniale britannique.

Olcott lance une série d’institutions d’éducation bouddhiste tel l’Ananda College à Colombo en 1886, le Mahinda College à Galle et le Dharmaraja College à Kandy. Il travaille enfin avec succès à la reconnaissance officielle de l’enseignement bouddhiste. Près de 400 écoles sont créées qui apprennent aux enfants cinghalais à valoriser leur civilisation et leur culture. Il ouvre ainsi la voie à la renaissance d’un mouvement national contre la loi britannique qui triomphera dans la lutte pour l’indépendance  un peu plus d’un demi siècle plus tard.  Aussi, chaque année, le 17 février, les bouddhistes du Sri Lanka allument des petites lampes et font bruler de l’encens pour commémorer l’anniversaire de sa mort en 1907.

Statue du COLONEL OLCOTT à COLOMBO (SRI LANKA)

Statue du COLONEL OLCOTT à COLOMBO (SRI LANKA)

Jean BARROT

 









DANGERS DU VOLCAN, TENACITE DES HOMMES

Connaissance & Partage

Dans cette mini série à suivre, je veux vous présenter quelques volcans que j’ai eu l’occasion de parcourir dans le cadre de mes voyages, seul ou avec des amis géographes, un peu partout sur la planète. Malgré la dangerosité de ces lieux, des familles s’accrochent à ces terres, souvent faute d’un ailleurs où se réfugier, mais parfois aussi par amour et foie inébranlable dans l’avenir.

Première étape de ces pérégrinations : le Cap Vert, ce « Petit pays » chanté par Cesaria Evora.

1 - FOGO

1 - FOGO

L’archipel du Cap Vert, devenu pays indépendant en 1975, comporte dix iles et quelques ilots qui émergent de l’Atlantique à environ 600 km au large des côtes du Sénégal. Cet archipel est d’origine volcanique, créé par un point chaud du manteau qui s'est manifesté à partir de – 25 M d'années.

A- Carte archipel

A- Carte archipel

La partie orientale de la plaque océanique issue de l'ouverture de l'Atlantique, est repoussée vers l’Afrique. Cette plaque océanique se déplace ainsi au dessus d’un point chaud qui la perfore au rythme de l’intensité de son activité. En conséquence de cette translation de la plaque vers l’est, les plus anciens volcans de l’archipel sont à l'est, les plus récents sont à l'ouest.

B- Coupe point chaud

B- Coupe point chaud

Mais les parties nord et sud n’ont pas dérivé selon le même axe et à la même vitesse en raison d’une faille transformante qui affecte la plaque océanique : le V que forme l’archipel s’ouvre de plus en plus au fil du temps. Le groupe des iles du nord (“Barlavento”) s’éloigne vers le N-O, tandis que celles du sud de l’archipel (“Sotovento”) migrent vers le S-O.

Dans cet archipel, une seule ile est encore actuellement le siège d’une activité volcanique, l’ile de Fogo. Pratiquement circulaire, d'environ 25 km de diamètre, l'ile de Fogo n'est que la partie émergée d'un énorme stratovolcan dont la base repose sur le plancher océanique à – 4.000 m. Le Pico culminant à 2.829 m, la hauteur totale de l'édifice volcanique est de donc de 7 km, ce qui en fait un des plus imposant du monde. Il a commencé à s'édifier il y a 4,5 M d'années, son émersion n'étant pas datée (vers –1M d'années ?). La physionomie actuelle de l'ile résulte d'un énorme effondrement de flanc sur le volcan originel qui lui a donné naissance.

C- bloc relief de l’ile

C- bloc relief de l’ile

D- coupes schématiques de l’effondrement

D- coupes schématiques de l’effondrement

On estime, à partir des pentes de celui-ci qui se sont conservées, que son cône devait culminer vers 4.000m. Mais il y a environ 75.000 ans – peut-être un peu plus – après vidage de sa chambre magmatique, tout le flanc ouest du volcan primitif s’est effondré, ce qui a engendrée la formation de la caldeira dans laquelle s'élève le cône actuel du Pico. Mais cet effondrement a aussi généré un énorme tsunami dont la vague d’attaque a pu atteindre plus de 200 m sur l’ile voisine de Santiago et dont on trouve des effets jusque sur l’ile de Sal.

E- tsunami sur Santiago

E- tsunami sur Santiago

C’est un phénomène similaire qui s’est produit très récemment sur le volcan Krakatoa dans le détroit de la Sonde. Regardez bien la 2e image : des cercles d'ondes à la surface de la mer sont bien visible sur ce cliché, ce qui prouve que l'éruption continue sous l'eau. Mais l'ile que j’ai connue en 1987 n'existe plus…

F- Krakatoa

F- Krakatoa

LE FOGO ACTUEL EST UN VOLCAN PARTICULIEREMENT ACTIF.

Depuis la découverte de l’ile par les Portugais – inhabitée comme tout l’archipel à l’époque – on y a enregistré 27 éruptions importantes. Jusqu’en 1769 le cratère sommital du Pico est actif. Depuis, toutes les éruptions ont lieu sur une ligne de fracture N-S qui affecte la partie basse de son cône, sur son flanc ouest. Il est aujourd’hui jalonné de petits cratères adventices dont les éruptions sont de type strombolien : les laves sont plutôt fluides et s’épanchent hors du cratère avec des vitesses variables selon leur composition chimique. Alternant avec les émissions de fontaines de lave les éruptions s’accompagnent de projections de cendres et lapillis qui peuvent retomber en dehors de la caldeira de Cha. Mais globalement le volume de lave émis reste modeste et presque toujours confiné dans la caldeira. Sans conséquence pour les hommes puisqu’elle reste sans peuplement jusqu’au début du 20e siècle.

Les violentes famines de la fin du 19e siècle poussent des iliens à venir s’installer dans la caldeira qui depuis le 18e siècle recevait quelques troupeaux pour pâturer sur ses terres. Car l’espace de la caldeira, vaste domaine à peu près plan de 35km2 se révèle favorable à l’exploitation agricole : l’altitude supérieure à 1700 m assure des précipitations occultes (rosée, condensation des brouillards, etc.), l’exposition des pentes favorise un ensoleillement optimum et 2 sources abondantes garantissent la pérennité de la vie. Les premiers occupants permanents s’installent en toute liberté à partir de 1917 et un demi siècle plus tard, la population de la caldeira atteint 1300 habitants regroupés principalement dans 2 gros villages, Bangaeira et Portela, vivant dans une relative autarcie.

LES 3 ÉRUPTIONS DEPUIS 1951 REMETTENT EN CAUSE LE FRAGILE ÉQUILIBRE TROUVE ENTRE LA NATURE, LES GENS DE LA CALDEIRA ET LE POUVOIR POLITICO ADMINISTRATIF (ENCORE COLONIAL PUIS DE L’INDÉPENDANCE) .

* La première éruption de juin à août 1951 se manifeste par 2 coulées : l’une, près de Bangaeira, plutôt limitée mais qui colmate les 2 sources existantes, les rendant définitivement inutilisables ; l’autre, plus conséquente s’écoule sur le flanc sud du Pico dévalant jusqu’à la mer vers Cova Marthino. L’eau doit désormais être récupérée sur le flanc du grand escarpement d’environ 1000m de la Bordeira qui ferme l’ouest de la caldeira pour être stockée dans une vaste citerne. Mais l’activité humaine n’en est pas fondamentalement affectée.

* Il en va tout autrement avec l’éruption d’avril à mai 1995. Un nouveau cône s’édifie sur le flanc sud-ouest du Pico. Des projections de cendres et de lapillis tapissent la caldeira. Les coulées de lave sont abondantes, leur épaisseur pouvant atteindre 20m. S’écoulant vers l’ouest, elles restent confinées dans la partie sud de la caldeira. On ne déplore aucune victime car la progression des laves est restée relativement lente. Mais l’éruption provoque des dégâts conséquents : 5 km2 de terres sont perdus, le hameau de Boca de Fonte, qui regroupait 56 habitants à environ 2 km à l'ouest du centre des éruptions, est détruit, de même que la coopérative viticole dont les stocks, prêts à la vente, connaissent le même sort. Enfin, affectant durablement la communication entre la caldeira et le reste de l’ile, l’unique route d’accès est coupée.

G- extension coulée 1995

G- extension coulée 1995

Dès cette date, le gouvernement entreprend de construire des maisons près des villages existants à l’extérieur de la caldeira et envisage la création d’un parc naturel dans celle-ci, vidée de ses habitants. Si le parc est créé en 2003, son administration doit composer avec le retour de la population (à plus de 92% de l’effectif antérieur) et le boom économique, soutenu par des ONG extérieures qui ont découvert l’existence de ce microcosme à l’occasion de l’éruption. Une coopérative viticole est reconstruite en 1998 et la production viticole explose : de moins de 2.500 litres elle atteint 200.000litres en 2014 avec un spectaculaire gain de qualité. Couplée aux ressources qu’offre désormais un tourisme attiré par le volcan, la population s’enrichit, y voyant le fruit de son acharnement contre les entraves administratives mises par les autorités. Signe au moins moral de cette défaite du pouvoir, le siège gestionnaire du parc est transféré de la capitale de l’ile, San Felipe, dans un luxueux bâtiment édifié à la limite des 2 villages de Portela et de Bangaeira. Inauguré en octobre 2013, il est détruit lors de l’éruption qui débute en novembre 2014 !

H- siège du parc détruit.

H- siège du parc détruit.

I- extension des coulées2014

I- extension des coulées2014

* Car de novembre 2014 à janvier 2015 une nouvelle éruption survient, beaucoup plus destructrice que la précédente. Elle débute sur la même ligne de fracture un peu au dessus du petit Pico avec les mêmes phénomènes que celle-ci.

J-cratère petit Pico

J-cratère petit Pico

K-l’étalement de la coulée dans la caldeira

K-l’étalement de la coulée dans la caldeira

L- l’ensevelissement de Bangaeira

L- l’ensevelissement de Bangaeira

S’il n’y a aucun mort, les dégâts sur le bâtit sont considérables et l’espace agricole se restreint encore. Le pouvoir pense alors pouvoir réaliser son projet de Parc Naturel intégral autour d’une caldeira définitivement sans population. Créé en 2016, il est inscrit au patrimoine de l’UNESCO, en particulier comme sanctuaire d’endémiques (faune et flore) Mais c’est mal connaître l’attachement viscéral de la population locale à « son » volcan. Contre le pouvoir, sans aide aucune, une partie de la population (environ 40% fin 2018) revient vivre dans la caldeira et s’auto-organise pour mettre en place un minimum d’infrastructure. Aussi pas question de payer les taxes que réclame la mairie de Santa Catarina, dont dépendent les villageois de la caldeira : «Nous n’avons eu aucune aide pour reconstruire nos vies. On ne demande rien, juste qu’on nous laisse tranquilles.» Depuis la rentrée 2017, les enfants suivent les cours qui se déroulent dans une maison épargnée par l’éruption, à quelques centaines de mètres à l’ouest de Portela. On la rejoint en crapahutant à travers le champ de lave, sur des grumeaux de pierres poreuses et abrasives qui s’effritent sous les pas. La visite de cette école de l’espoir reste un grand moment d’émotion de ma découverte de l’ile. Mais comme un flux de tourisme de découverte de la nature dans cet espace volcanique tout frais s’intensifie, cela pousse le pouvoir à engager la reconstruction d’une route pour désenclaver la caldeira.

M- les reconstructions L’ancien hôtel est enfoui sous une dizaine mètres de laves scoriacées. La propriétaire a immédiatement engagé la construction d’un nouvel établissement par dessus la « tombe » de l’ancien.

M- les reconstructions L’ancien hôtel est enfoui sous une dizaine mètres de laves scoriacées. La propriétaire a immédiatement engagé la construction d’un nouvel établissement par dessus la « tombe » de l’ancien.

N- le chemin de l’école

N- le chemin de l’école

O- les écoliers

O- les écoliers

Le plus bel hommage que vous pourrez rendre à ces « entêtés », quand finira le confinement, sera de mettre cette escale dans vos projets de voyage lointain, avec en prime la stupéfiante beauté des cratères et des coulées…

P- des laves

P- des laves

Q- des laves

Q- des laves

R- des laves

R- des laves

Jean BARROT



GRECO – NATIVIDAD

Connaissance & Partage

Comme une grande rétrospective GRECO vient de se tenir au Grand Palais d’octobre 2019 à février 2020, c’est l’occasion pour moi de vous présenter une œuvre de ce peintre rarement mise en exergue : Natividad. Ma véritable découverte du peintre, que je connaissais par des reproductions, eut lieu lors d’un voyage en Espagne, il y a une trentaine d’année. Et ce fut un coup de foudre. En particulier pour cette œuvre…

A) Tondo

A) Tondo

Natividad est un tondo de 1m28 de diamètre que l’on peut voir dans la chapelle Notre-Dame-de-la-Charité de l'hôpital d'Illescas, petite ville à mi-chemin entre Madrid et Tolède. Il fut réalisé par GRECO entre 1603-1605 pour répondre à une commande de 4 tableaux illustrant un cycle de la vie de la Vierge destinés à venir compléter son Adoration des Bergers déjà installé. L’hôpital de la Charité d’Illescas, édifié en 1500, venait d’être restauré et remis à neuf, à partir de 1588. Quatre œuvres y sont encore conservées, la 5ème, Le Mariage de la Vierge se trouvant aujourd'hui au musée de Bucarest.

Cette Nativité est réduite aux témoins les plus immédiats de la naissance de Jésus : Marie, bien sûr, Joseph, l’âne et le bœuf. L’intense lumière qui irradie le tondo provient de son centre, et crée avec les marges plongées dans l’obscurité un spectaculaire effet de contraste qui ne manque pas d’évoquer le ténébrisme du CARAVAGE dont la manière connaît un succès considérable à partir de 1600. Donc en stricte contemporanéité avec l’élaboration du tondo. Observez la figure de l’âne dont seule l’extrémité du museau capte cette lumière …

Mais une différence de taille les sépare : si CARAVAGE utilise comme modèles des gens du peuple traités avec réalisme, et magnifiés par l’exacerbation du contraste lumineux, l’imagerie du GRECO est d’abord mentale et fortement symbolique. La lumière émane de Jésus, répercutée par la blancheur de son lange. Par sa naissance, Jésus, Dieu incarné, devient la Lumière du monde, le phare qui va guider l’humanité sur la voie de la Vérité et du Salut. S’exprime ici l’esprit du Concile de Trente qui s’est achevé en 1563, amorçant la contre-offensive catholique face à la montée des courants de la Réforme engagée par Luther. Dans l’esprit de la Contre-Réforme, il s’agit de mettre en valeur les aspects mystiques et surnaturels de l’expérience religieuse que GRECO va magnifier dans une œuvre monumentale et superbe, L’enterrement du Comte d’Orgaz (je vous en reparle dans la suite de cette note).

La palette utilisée s’articule sur la trichromie primaire : rouge carmin profond de la robe de la Vierge, jaune ocre du manteau de Joseph passant à un brun pour la tête du bœuf, bleu nuit de l’habit de Joseph, virant au violet à partir de son genou. Hormis les parties de vêtements en pleine lumière l’ensemble de l’œuvre est dominé par des tons sourds. Une exception toutefois : la partie arrière du manteau de Joseph qui devrait se trouver dans l’ombre d’une lumière réelle est brossée d’un jaune très lumineux (ce que la reproduction ne permet pas de saisir).

Face au tondo, ma réaction première a été un saisissement devant la mise en page des acteurs de la scène. Au long de l’axe vertical central du tondo jalonné par un pilier qui s’élève à partir de Jésus –énoncé ainsi comme pilier de la foi chrétienne – on trouve au bas de cet axe, et donc au premier plan dans la logique de la perspective, la masse de la tête du bœuf, dressée et légèrement basculée vers la gauche. Elle ne comporte qu’une corne visible, fermement dessinée, dont la pointe s’inscrit dans la robe de Marie.

POUR COMPRENDRE CE DISPOSITIF ET EN INTERPRÉTER LA SIGNIFICATION, JE VOUS PROPOSE DE SUIVRE LE JEU DE PISTE AUQUEL JE ME SUIS LIVRE.

GRECO a obtenu en 1603 – il a alors 62 ans – la commande pour la chapelle de l’hôpital d’Illescas par l’intermédiaire de son fils Jorge Manuel qui a étroitement collaboré avec lui dans son atelier. On connaît la date de naissance de ce fils, bien mise en évidence dans L’enterrement du Comte d’Orgaz : au premier plan, un enfant, qui regarde le spectateur, désigne la scène de son doigt, l’invitant à entrer dans l’œuvre. Débordant de sa ceinture, la pointe d’un mouchoir comporte une mention qui a parfois induit en erreur les observateurs : « Doménikos Teothocopoulos epoiei 1578 » (Doménikos Teothocopoulos m’a fait 1578). Ce qui a été fait en 1578 ce n’est pas le tableau, dont on possède l’acte de commande passé seulement en 1586, mais bien cet enfant « fait » par le peintre, son fils donc, Jorge Manuel. Au moment où GRECO peint cette œuvre, y incorporant son fils comme passeur entre le spectateur et la scène qui se déroule sur le tableau, l’enfant a donc au moins 8 ans, ce qui est conforme au portrait représenté dans l’œuvre.

B) Portrait de Jorge Manuel

B) Portrait de Jorge Manuel

S’il y a un enfant, il y a donc une mère. Or GRECO n’a jamais été marié. Mais on connaît le nom de la mère : Jeronima de las Cuevas. Dans le testament signé le 31 mars 1614 (il meurt le 7 avril) confié à son fils pour qu’il prenne les dispositions concernant son décès et ses obsèques GRECO écrit : « ... J'ai discuté et me suis mis d’accord avec Jorge Manuel Theotocopuli, mon fils et Doña Jerónima de las Cuevas, qui est une personne de confiance et de bonne conscience, de ce qui est sur le point d'être fait ». Mais impossible d’en savoir plus sur elle. Ce texte permet cependant d’éliminer quelques hypothèses que l’on retrouve couramment la concernant. Tout d’abord ce n’était pas une prostituée de Tolède, la qualification de Doña étant alors impensable. Et elle n’est ni morte à l’accouchement, ni plus tard, recluse dans un couvent pour expier d’avoir conçu un enfant hors mariage. Faire d’une morte une exécutrice testamentaire n’a strictement aucun sens. Dernière remarque suggérée par ce texte : le fils et la mère ont conservé un minimum de contact au long de leurs vies, puisqu’ils vont être associés comme exécuteurs testamentaires. On ne peut pas aller plus loin.

Mais un consensus assez large fait d’elle le modèle utilisé par GRECO, d’abord pour un portrait, Dame à la fourrure, puis pour plusieurs œuvres de commande, exécutées à la fin des années 1570 à Tolède, dont L'Expolio (Le partage de la tunique) pour la cathédrale de Tolède et La sainte famille (l’original est aujourd’hui à New York)

C) Toile Sainte famille

C) Toile Sainte famille

Je veux m’arrêter un instant sur cette œuvre : c’est à ma connaissance – fort modeste, j’en conviens – la seule du GRECO à représenter une Vierge allaitante, issue de la tradition gothique, où le sein dénudé est mis bien en évidence au centre du tableau.

Greco, une quinzaine d’années plus tard en réalise une reprise pour l’hôpital Tavera de Tolède en ajoutant la tête de sainte Anne qui fait symétrie avec la tête de Joseph, de part et d’autre du triangle que dessine le sujet principal. Le visage de Marie s’est allongé et teinté de mélancolie mais l’identité me paraît indéniable.

Le visage de Marie exprime la tendresse paisible d’une mère concentrée sur l’allaitement de son bébé, sans aucune manifestation d’étonnement de cette naissance miraculeuse. Joseph, qui observe la scène par dessus l’épaule de Marie, me semble bien être un portrait du GRECO lui-même, si on compare ce visage aux tempes dégarnies mais qui est loin d’être le vieillard de la tradition, à son autoportrait présenté au musée du Prado. Le regard de Joseph sur l’enfant témoigne d’un intérêt soutenu, sans manifestation d’appréhension ou de surprise. Rien à voir avec la Sainte famille avec sainte Anne de RUBENS que l’on peut voir au musée du Prado à Madrid, peinte une cinquantaine d’année plus tard. Si le sein de la Vierge reste le centre du tableau, les regards des protagonistes soulèvent la question de l’Immaculée conception. Si celui de sainte Anne porté sur Jésus est plutôt tendre, celui de Marie se perd dans le vide comme, si elle était encore sous le choc et dans l’incompréhension de ce qui lui est arrivé. Quant à Joseph, dont l’écart d’âge est bien marqué avec Marie son regard traduit la stupeur devant l’énigme qu’il a à affronter. Non sans que Rubens ne mette quelque malice dans cette représentation…

D) Toile Rubens

D) Toile Rubens

A partir de cette confrontation, mon interprétation est donc la suivante : cette Sainte famille est une vrai famille sans miracle et sans énigme, et c’est celle formée par Doméniko, Jeronima et Jorge Manuel, leur fils qui vient de naitre en 1578. La fierté de cette paternité s’exprime chez Greco par les multiples représentations qu’il donnera de son fils. L’une me parait emblématique : dans La vierge de charité, sous le manteau de la Vierge dont les pans s’ouvrent comme les ailes d’un oiseau, en bas à droite se trouve le portrait de Jorge Manuel. La réunion de la mère et du fils ?

Les commanditaires de l’œuvre s’insurgent de voir figurer ce portrait de Jorge Manuel « et d'autres personnes bien connues qu'il convient de retirer complètement », menaçant GRECO d’un refus de paiement, les vastes fraises dont ils sont dotés étant considérées en outre comme « une indécence ». On voit que l’utilisation des figures de son entourage dans une œuvre religieuse n’a rien d’exceptionnel.

E) Toile vierge de charité

E) Toile vierge de charité

Le visage de Jeronima se retrouve dans plusieurs œuvres, à peine altérée par une expression de mélancolie, qui peut avoir un fondement religieux : contemplant son fils, la mère anticipe son destin. En ce début de 17e siècle, lorsque GRECO peint la Nativité, la jeune femme radieuse de 1578-80 a désormais une cinquantaine d’année. Pourtant GRECO continue de lui donner une allure juvénile : il s’agit d’être en conformité avec le dogme, la Vierge ne pouvant être une vieille femme.

Mais j’y vois aussi la pérennité de l’amour de Domeniko pour Jeronima : le souvenir peut s’effacer mais il ne vieillit pas… [je vous renvoie à la dernière phrase de mon texte « Un amour de Bonnard »]

JE PEUX DÉSORMAIS REVENIR AU TONDO DE LA NATIVITÉ. IL S’AGIT POUR MOI, VOUS L’AUREZ COMPRIS, D’UN PORTRAIT DE FAMILLE.

Avant d’approfondir cette piste, je veux attirer votre attention sur une concordance de temps. En 1603, lorsque GRECO reçoit la commande pour la chapelle de l’hôpital d’Illescas, son fils se marie avec Alfonsa de los Morales (dont je ne sait rien) et en a un enfant en 1604, prénommé Gabriel. Or à partir de cette date, Jorge Manuel collabore nommément avec son père dans l’exécution des commandes. Je vois donc dans cette Nativité comme une réitération d’un heureux événement familial, celui qui en 1578 a fait de Greco un père, celui de 1604 le faisant grand-père. L’objection que j’entends ici par avance est que la naissance du Christ entouré de sa famille est d’une telle banalité dans le dogme religieux et si présente dans l’œuvre de GRECO qu’il n’y a aucune raison de faire un sort particulier à ce tondo.

Revenons donc au décryptage de l’image.

La corne du bœuf basculée vers la gauche inscrit sa pointe dans les replis de la longue robe de la Vierge, évoquant une vulve. Comme la manifestation symbolique d’une relation sexuelle. Là, vous voulez décrocher : vous venez d’identifier l’obsédé sexuel de l’association ! Encore un peu de patience ! GRECO comme son surnom l’indique est grec : mais son nom n’est pas anecdotique. C’est THEOTOKOPOULOS, soit « fils (ou enfant) de la Mère de Dieu ». Rien moins ! Mais son surnom d’ “EL GRECO” qui le signale comme un étranger, un non-espagnol, reste une approximation : il est crétois, en est fier et signe en cyrillique. Et là, vous vous souvenez que la Crète est la terre du Minotaure. Ce bovin cornu au premier plan de l’œuvre n’est autre que le portrait symbolique de Doméniko, en pleine vigueur de sa jeunesse s’accouplant à Jeronima, mère réelle qui l’a fait père et dont le fils réel vient de le faire grand père. La figure de Joseph, isolée sur la droite de l’axe vertical en est, à mon sens, l’incarnation symbolique. Joseph est toujours présenté comme un homme âgé, en particulier dans la tradition orthodoxe, source du christianisme de GRECO qui amorça sa vie d’illustrateur comme peintre d’icônes.

Cette imbrication des paternités révèle à mon sens l’attachement de GRECO à sa famille qui, d’une façon ou d’une autre, parvient à l’exprimer dans le registre iconographique de la Contre-Réforme. N’est-ce pas son fils qui nous introduit au miracle de l'apparition de deux saints, Augustin et Etienne, lors de l'enterrement de ce noble de Tolède dans L’Enterrement du comte d’Orgaz (œuvre gigantesque de 4,8 m par 3,6 m occupant tout le chœur de Église de Santo Tomé, Tolède) ?

F) L’enterrement du comte d’orgaz.

F) L’enterrement du comte d’orgaz.

L’âme du défunt, sous la forme d’un bébé porté par un ange à la robe jaune vert s’engage dans un étroit conduit qui vient interrompre la ligne des nuées qui sépare le monde terrestre de l’espace divin. GRECO nous convie ici à un accouchement au réalisme saisissant, la Vierge s’apprêtant à recevoir comme une sage-femme cette âme-bébé au sortir d’un vagin en travail qui rappelle au croyant que la mort est fondamentalement pour le juste une naissance au royaume des cieux.

G) Âme-bébé

G) Âme-bébé

Pourtant, loin d’être un mystique, GRECO « était plutôt un érudit humaniste, selon la tradition de la Renaissance ». La recherche de GRECO « d’un accord entre le réel et l’irréel permettant de donner une apparence tangible au divin » passe par le métissage de toutes les influences reçues en Grèce, à Venise, à Rome, qui fait de lui un peintre d’une totale liberté dont on ne recevra la leçon –le plus souvent avec bien des malentendus – qu’au 20e siècle.

LISTE DES ILLUSTRATIONS

A – Nativité - chapelle Notre-Dame-de-la-Charité ; hôpital d'Illescas (Ø 1,28m)

B – L’Enterrement du comte d’Orgaz - Église de Santo Tomé ; Tolède [détail]

C – La sainte famille – Hispanic Society ; New York (1,06m x 0,87m) [copie au musée du Greco ; Tolède]

D – La sainte famille avec sainte Anne – P. P. RUBENS (1630) [détail] – musée du Prado ; Madrid

E – Vierge de la Charité - chapelle Notre-Dame-de-la-Charité ; hôpital d'Illescas (1,84m x 1,24m)

F – L’Enterrement du comte d’Orgaz - Église de Santo Tomé ; Tolède (4,8m x 3,6m)

G – L’Enterrement du comte d’Orgaz - Église de Santo Tomé ; Tolède [détail]

NOTES :

1 – Pour les hispanisants qui souhaiteraient explorer plus à fond la question de la biographie de Jeronima, je les renvoie à l’article récupéré sur Internet de FÉLIX DEL VALLE DÍAZ - Académico Numerario : « DOÑA JERÓNIMA DE LAS CUEVAS, MUJER DE EL GRECO ».

2 – … et dans la rubrique « Molière n’est pas Molière, Shakespeare n’est pas… » etc., je vous renvoie à la lecture de la note de Sylvie KOURIM parue en 1971 dans CARAVELLE. CAHIERS DU MONDE HISPANIQUE ET LUSO-BRESILIEN (sur le site Persée) concernant la thèse de Guillem MOREY MORA pour qui Greco est l’auteur du Don Quichotte. Après si le cœur vous en dit, vous pouvez plonger dans la thèse…

Jean Barrot




LE BOUDDHA ET LES ARBRES

Connaissance & Partage

Tout au long des récits de la vie du Bouddha certains arbres jouent un rôle essentiel. Dans le Theravada ils ne sont donc pas vus strictement comme des éléments naturels mais comme des signes rappelant les étapes du destin de « l’Eveillé ». Mais c’est aussi la trace de l’héritage de la très ancienne religiosité populaire qui avait cours à l’époque de sa vie. Comme en Occident, les arbres étaient censés abriter des divinités auxquelles les villageois avaient coutume d’offrir des offrandes

SA NAISSANCE A LIEU DANS UN BOIS D’ASHOKA EN FLEUR.

SA NAISSANCE A LIEU DANS UN BOIS D’ASHOKA EN FLEUR.

Enceinte des œuvres d’un éléphant blanc intervenant dans un songe, la princesse MAYA (“Illusion” en sanskrit) se sentant prête à accoucher, se met en route vers la maison de ses parents comme le veut la coutume. Ressentant les premières douleurs à la vue d’un ashoka en fleurs, elle ne va pas plus loin. Le Bouddha nait sous l’arbre, marchant aussitôt, des fleurs de lotus s’ouvrant à chacun de ses pas. Dans les représentations les plus courantes, Maya tient une branche de l’arbre de la main droite et touche le tronc du pied gauche à la façon des yakshas (nymphes des arbres). Cette posture est interprétée comme la représentation du rituel par lequel une jeune fille nubile peut faire fleurir un arbre en le frappant du pied (porter la fleur = faire naitre).

L’ashoka, Saraca indica, est un arbre tropical, courant en Inde du Nord, de forme pyramidale, à feuillage dense, pouvant atteindre une hauteur d'environ 10 mètres. Ses feuilles sont pennées avec des folioles d'un vert brillant à bords ondulés, longues et étroites d'environ 20 cm de long. Les fleurs orange, très odorantes, possèdent de longues étamines rouge foncé. Elles sont groupées en grappes arrondies (floraison d’avril à mai).

LE TEMPS DE LA MÉDITATION SOUS LES JAMBUS

MYANMAR – Kalaw monastère rural (fresque du cycle de la vie du Bouddha)

MYANMAR – Kalaw monastère rural (fresque du cycle de la vie du Bouddha)

Renonçant à l’ascétisme extrême, le Bouddha se met en méditation sous un jambu (jambousier). Une villageoise, Sujata, apportant un bol de nourriture en remerciement d’un vœu fait à la divinité de l’arbre, le prend pour celle-ci. Le Bouddha la détrompe et accepte son repas. La méditation va l’emporter sur le jeûne, le méditant se nourrissant dès lors d’offrandes.

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Le jambu, jamrosat ou Syzygium jambos, est un arbre de la famille des Myrtacées, originaire de la région indo-malaise, qui affectionne les climats chauds et humides ou, lorsque le climat est un peu plus sec, qui se cantonne dans les ravins ombragés près des cours d'eau. L'arbre peut atteindre une quinzaine de mètres de hauteur. Les feuilles, opposées, sont allongées et pointues. Les fleurs, disposées en bouquets sommitaux, avec de nombreuses et spectaculaires étamines de couleur crème. Le fruit est une baie de couleur jaune de 2 à 4 cm de diamètre, dont les tissus internes se distendent formant ainsi un fruit « creux » contenant souvent une graine unique devenue libre comme dans un grelot. Ce fruit est comestible. La chair a la consistance d'une pomme croquante et le parfum de la rose, d'où les noms qui sont attribués tant à l'arbre qu'à son fruit (en français : jambrosade). Ce dernier peut être consommé cru ou servir à des préparations de liqueurs parfumées.


NB = En vieux sanskrit, l'Inde actuelle était appelée par les Indiens eux-mêmes JAMBUDVIPA, qui signifie "pays des jamrosats" (jambu = jamrosat ; dvipa = pays)

L’ILLUMINATION SOUS UN PIPAL

Après avoir longtemps médité sous des jambus, le Bouddha atteint l’illumination sous un pipal, à BODHGAYA (actuel état du Bihar en Inde). Cet arbre, appelé BODHIMANDA ou Bo, occupe donc une place particulièrement importante dans la mythologie bouddhiste. Ses feuilles sont devenues un motif iconographique ainsi qu’un porte-bonheur. Il peut être considéré comme représentant le Bouddha luimême ou son enseignement.

En 288 av. J.-C., une branche de l’arbre s’étant détachée d’elle-même, conformément à une prédiction du Bouddha, elle fut apportée à Anuradhapura (Sri Lanka) par la propre fille d’Ashoka qui instaure le bouddhisme religion d’état. Le roi de Sri Lanka, Devanampiya Tissa, planta la bouture en grande cérémonie. Ses successeurs prirent l’habitude de répéter ce rituel tous les douze ans.

Cet arbre, dont on prétend localement qu’il est le plus ancien angiosperme du monde, est protégé par une grille dorée. Des moines et laïcs consacrés en ont la charge. Les fidèles viennent prier devant lui. Ils font brûler des lampes d’huile de coco, présentent diverses offrandes dont des pièces de monnaie lavées dans du safran et effectuent une triple circumambulation de l’arbre.

A BODHGAYA l’arbre originel fut détruit au moins trois fois, dont une, selon la légende, sur ordre de Tissarakha, épouse d’Ashoka, jalouse de l'importance que le roi accordait à l'arbre. Il aurait été replanté à chaque fois à partir d’un clône sri-lankais. A l’époque d’Ashoka, il fut flanqué d’un temple, le Bodhimanda Vihara, devenu le temple de la Mahabodhi. Les pèlerins prirent vite l’habitude d’emporter avec eux des feuilles et des graines des arbres des lieux sacrés. De nombreux « enfants » de ces arbres existent dans le monde. Un arbre de la Bodhi, représentant l’enseignement du Bouddha, est planté près de tout nouveau monastère.

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Le pipal (figuier des pagodes, ou figuier des banians dit aussi arbre de la Bodhi), Ficus religiosa, est un arbre appartenant au genre Ficus, de la famille des Moracées. C’est un arbre majestueux, qui peut atteindre 30 mètres, avec une très large couronne portée par des branches majestueuses en ombrelles. Les feuilles sont pendantes avec un appendice foliaire très allongé et tombent en mars-avril pour un renouvellement de la frondaison. Une floraison rouge apparait en février, suivie de fruits.

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LE MIRACLE SOUS LE MANGUIER

Le Bouddha n’est pas favorable à la démonstration de pouvoirs surnaturels, mais il se résout néanmoins à exécuter le « miracle de la dualité » sous un manguier pour convaincre le roi Pasenadi de la valeur du bouddhisme. Ses adversaires font couper l’arbre, mais il le reconstitue immédiatement à partir du noyau d’une mangue offerte par le palais.

Le manguier, Mangifera indica, est un grand arbre à feuilles persistantes qui peut atteindre 35 à 40 mètres de hauteur, avec un houppier de 10 mètres de diamètre. Son écorce est lisse, brun foncé à noir. C'est, avec le palmier dattier, un des arbres…

Le manguier, Mangifera indica, est un grand arbre à feuilles persistantes qui peut atteindre 35 à 40 mètres de hauteur, avec un houppier de 10 mètres de diamètre. Son écorce est lisse, brun foncé à noir. C'est, avec le palmier dattier, un des arbres fruitiers les plus anciennement cultivés

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Ses feuilles alternes, entières, sont oblongue et pointue, pouvant mesurer de 15 à 35 cm de long sur 6 à 16 cm de large. Lorsqu'on les froisse, elles exhalent une odeur de térébenthine. Leur couleur est d'un rose orangé au début de leur croissance puis passe par une teinte rouge foncé brillant avant de devenir vert foncé à maturité, Les fleurs, blanc rougeâtre, sont petites et regroupées en grappes terminales de 10 à 40 cm de long. Vers le milieu du printemps, après la fin de la floraison, il faut de trois à quatre mois pour que les fruits arrivent à maturité. Ce fruit charnu est une drupe de forme oblongue attachée à un long pédoncule, de taille variable selon les variétés, de 10 à 25 cm de long sur 7 à 12 cm de diamètre, de poids variant de 500 g à 2,5 kg. La peau, assez résistante, est à maturité de couleur jaune plus ou moins tachetée de vert et de rouge (sur la face exposée au soleil). Le noyau, plutôt gros contient une graine unique de grande taille (4 à 7 cm de et 1 cm d'épaisseur). Il est recouvert de fibres, plus ou moins développées dans la chair, selon les variétés.

LA MORT SOUS LES FLEURS DU SAL

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Le Bouddha est en train de méditer dans un bois de sals près de Kushinagar (INDE –état de l’Uttar Pradesh) lorsqu’il meurt. Immédiatement son corps se recouvre de leurs fleurs. Son corps bien qu’incinéré laisse de nombreuses reliques incorporées dans des stupas qui deviennent des centres de pèlerinages réputés. Le ROCHER D’OR de la pagode de Kyaiktiyo (MYANMAR) conserverait sa stabilité grâce à un cheveu du Bouddha …

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Le sal, ou sala, Shorea robusta est un grand arbre de l'Asie du Sud. En Inde, sa localisation s'étend entre Assam, Bengale et Jharkhand à l'Ouest jusqu'à l'Est de Yamuna. Dans ces régions, il constitue l'arbre le plus courant dans les forêts. Il a une croissance plutôt lente, mais peut atteindre entre 30 et 35 mètres. Son bois, résineux et durable, en fait un des bois de charpente ou de construction, les plus utilisés en Inde. Son grain plutôt grossier mais d’une certaine dureté, a une couleur claire fonçant lorsqu'elle est exposée à la lumière. Dans les zones les plus humides, il garde ses feuilles tout au long de l'année ; dans les zones sèches, il en perd la plupart entre les mois de février et avril, pour reconstituer son feuillage en avril - mai. La résine de sal est utilisée comme encens dans des cérémonies hindoues. On utilise ses graines et ses fruits comme source d'huile (lampes) et de graisse végétale.

La représentation du Bouddha allongé est une des plus fréquente de l’iconographie bouddhiste. Mais est-il mort ou au Nirvana ? (SRI LANKA – grottes de Dambulla)

La représentation du Bouddha allongé est une des plus fréquente de l’iconographie bouddhiste. Mais est-il mort ou au Nirvana ? (SRI LANKA – grottes de Dambulla)

Le Bouddha allongé donne lieu à une statuaire le plus souvent gigantesque, jusqu’à plusieurs dizaines de mètres. Mentionné dans d'anciens textes, il y aurait, enseveli sous les alluvion de la vallée de Bamiyan (Afghanistan) un Bouddha couché de 300 m de long. Mais s’agit-il du corps du Bouddha mort ou du Bouddha planant dans le Nirvana ? Pour le savoir, il faut observer les pieds. S’ils sont décalés et dans 2 plans différents, c’est le corps du Bouddha mort. S’ils sont dans le même plan et parfaitement superposés, c’est le Bouddha ayant atteint le Nirvana…

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Le Rocher d’Or ne peut pas basculer dans le vide puisqu’un cheveu de Bouddha le retient …

Le Rocher d’Or ne peut pas basculer dans le vide puisqu’un cheveu de Bouddha le retient …

N’hésitant devant aucun sacrifice pour vous « illuminer », vous pouvez constater que j’ai mis la main au pipal.

N’hésitant devant aucun sacrifice pour vous « illuminer », vous pouvez constater que j’ai mis la main au pipal.

Pour conclure, ne manquez pas de faire un petit tour chez Brassens : Auprès de mon arbre je vivais heureux …

Jean BARROT

"LA PIERRE DU SOLEIL" Aztèque

Connaissance & Partage

LA PIERRE DU SOLEIL (MNA – MEXICO)

La plus célèbre des représentations du calendrier aztèque reste sans doute la « Pierre du soleil », datée de 1479 ap. JC, et sculptée pour la cérémonie du Feu Nouveau qui amorce un nouveau cycle de 52 ans. Destinée à la fois au culte aztèque et au découpage temporel, elle ne fut découverte qu’au XVIIIème siècle lors de travaux de terrassement..


L’œuvre est divisée en huit cercles concentriques :

  • *Le premier contient le visage du dieu soleil, TONATIUH, correspondant à l’ère contemporaine de la sculpture de la pierre

  • *Le second, quant à lui, évoque les quatre précédents soleils des ères passées, renvoyant aux éléments fondamentaux : soleil jaguar (terre), soleil vent (air), soleil pluie de feu (feu) soleil déluge (eau).

  • *Le troisième cercle expose les glyphes des vingt jours qui composent chacun des dix-huit mois du calendrier aztèque.

  • *Le quatrième représente les 260 jours du calendrier sacré sous la forme de 52 cases de cinq points chacune.

  • *Les cinquième, sixième et septième cercles ont plutôt un sens astronomique en figurant les planètes Mars, Jupiter et Saturne (là, je reste comme une truie qui doute : je ne vois pas sur quelséléments graphiques s’appuie cette assertion …)

  • *Le huitième et dernier cercle se situe en bordure externe de la pierre. Il comporte deux serpents qui enroulent la pierre et se terminent chacun par une tête : celle de Quetzalcóatl et de Tezcatlipoca, les deux frères ennemis.

Chaque serpent symbolisait le jour et la nuit mais aussi un cycle de cinquante-deux ans.
Ces chiffres ne sont bien sûr pas choisis par hasard. Ils sont la base même de la civilisation aztèque. La période cyclique de cinquante-deux ans permet le rapprochement parfait entre les deux calendriers : solaire et religieux.
Ce peuple repérait le début du nouveau cycle par l’apparition, au zénith, de la constellation des Pléiades.
Ce phénomène survient tous les cinquante-deux ans en coïncidence avec l’équinoxe de printemps. Comme à chaque fin de cycle, les Aztèques croyaient que la fin du monde pouvait arriver. A chaque fois, ils guettaient l’arrivée de la constellation des Pléiades dans le ciel, signe que les dieux leur accordaient un nouveau cycle.

La pierre telle qu’on peut la voir au Musée National d’Archéologie

La pierre telle qu’on peut la voir au Musée National d’Archéologie

Schéma de	lecture

Schéma de lecture

On retrouve sur l’avers des monnaies mexicaines d’usage courant en 2010 les divers éléments de cette pierre emblématique de l’héritage aztèque, renforcé au revers de toutes ces pièces par le blason duMexique. Selon une prédiction, la migration de ce peuple venu du nord devait s’arrêter lorsqu’il rencontrerait un aigle perché sur un cactus dévorant un serpent : ce fut à Tenochtitlan-Mexico.



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Sur la pièce de 10 pesos figure le cercle central et le premier anneau évoquant l’actuel soleil et les 4 qui l’ont précédé, associés au 4 éléments naturels. Sur la pièce de 5 pesos figure l’anneau le plus externe, les 2 serpents à plumes, affrontés avec les figures de Quetzalcóatl et de Tezcatlipoca. Sur la pièce de 2 pesos figurent les jours du calendrier. Mais la représentation n’en a conservé que 10 soit un sur deux, probablement pour des problèmes techniques de gravure. Sur la pièce de 1 peso figurent le 4ème et le 5ème anneau des jours du calendrier solaire et l’indication des points cardinaux. Mais là encore pour des raisons de gravure le motif a été simplifié. Sur la pièce de 50c. figure une partie du 6ème anneau qui vient compléter ce calendrier.

Jean BARROT

UN AMOUR DE BONNARD

Connaissance & Partage

La relation de Bonnard à Marthe, modèle, amante, épouse, fut tellement forte – sur une production d’environ 2.000 œuvres, elle figure sur près de 400, soit environ 1/5e du total – que je ne m’étais jamais posé la question d’une autre femme dans sa vie. Jusqu’à cette rencontre, dans l’exposition BONNARD du Musée de Lodève, avec Renée Monchaty. Elle est le modèle d’un portrait intitulé Le repos (Renée Monchaty) ou encore Jeune fille au corsage rouge. Tableau modeste dans ses dimensions – une huile sur toile de 38 X 48 cm datée “autour de 1922” – dans une salle consacrée aux portraits, il saisit d’abord par la puissance de sa lumière, qui irradie du chemisier rouge et de la chevelure blonde du modèle. Ce temps d’arrêt marqué, je suis fasciné par ce qu’il y a d’amour dans le regard du peintre sur la jeune femme. Cadrée en buste, inclinée en appui sur le dossier d’un fauteuil, la tête basculée sur son épaule gauche, le regard tombant dans le prolongement de son bras, Renée rêve les yeux ouverts. Elle est absente au regardeur, comme elle semble absente au peintre. Mais sa présence dans l’œuvre est d’une puissance extraordinaire.

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On retrouve là un trait majeur de la peinture de Bonnard, « guetteur sensible de la réalité », cette saisie d’un instant volé au modèle, ce qui implique une proximité et une familiarité avec lui permettant l’oubli du voyeur permanent qu’est le peintre. Mais on sait aussi que ce regard quasi photographique est aux antipodes de l’impressionnisme. L’image décante dans la mémoire et fait résurgence sur la toile dans le secret de l’atelier – non pas “dans l’urgence de l’instant”, selon une formule reprise ad nauseam par nos modernes plasticiens – mais au terme d’un patient et méticuleux travail. La composition de ce portrait est exemplaire. Deux carrés superposés en partie et décalés, l’un à droite, l’autre à gauche, se perçoivent à partir du cadre d’un miroir ou d’une fenêtre à gauche et du montant du dossier du fauteuil à droite. Le visage de la jeune femme s’inscrit dans la moitié haute de la partie commune aux 2 carrés. L’arrête de son nez inscrit la diagonale de cette partie commune qui structure la distribution de la lumière qui provient de l’angle haut gauche. En contraste fort, cet angle caractérisé par des tons chauds de rouge et de violet s’oppose à celui du bas droit, bleu associé à un brun froid. Au centre exact de la toile, les lèvres de Renée. La lèvre supérieure s’ourle d’un mince trait de blanc qui accentue l’effet de lumière sur cette partie du visage donnant la sensation d’une humectation d’une bouche prête au baiser. Belle au bois dormant d’une méditation triste attendant l’éveil au bonheur d’un prince charmant qui tarde…

Ce que nous donne Bonnard dans ce portrait de Renée c’est ce qu’il en garde au plus profond de lui-même. Il suffit d’un regard circulaire sur les autres portraits de la salle pour voir se confirmer le statut très particulier de celui-ci.

Bonnard m’émeut, Renée m’intrigue. Mais le catalogue de l’exposition ne m’apporte pas vraiment de réponse : dans la biographie, elle n’apparaît qu’à l’année 1921 dans la formule laconique « mars : séjour de deux semaines à Rome, en compagnie de Renée Monchaty et de Charles Bonnard ». Et puis rien, ni avant, ni après. Dans les essais - LE PRESENT « CONTINU » DE BONNARD, Jacqueline MUNCK - une seule allusion est faite à Renée : « Marthe encore, qui subit l'éclipse provoquée par l'apparition solaire de Renée Monchaty et de sa chevelure sur fond de nappe à rayures bleues et orangées et par l'irradiation lumineuse rongeant les détails superflus » (Le chat a bu tout le lait !). J’ai peut être tort de ne pas croire aux apparitions, mais je crois aux rencontres.

Le catalogue de l’exposition BONNARD de 1984 au centre Georges Pompidou est tout aussi peu loquace. Absolument rien dans les éléments de la biographie : à l’année 1921 on relève « mars : quinze jours à Rome ». Et une brève allusion dans la notice du tableau Jeunes femmes au jardin ou La nappe rayée (1921-23, repris et terminé en 1945-46) « Cette délicieuse «scène de genre» évoque une jeune femme dont Bonnard fut épris, Renée Monchaty. Ce portrait a toute la vivacité d'un instantané photographique, comme si l'on avait demandé à la personne blonde de se retourner et de sourire pour le cliché... Une autre figure féminine apparait dans la partie droite du tableau. […] Comme il le fit souvent, Bonnard retravailla cette toile à plus de vingt ans de distance; il en modifia surtout le fond. Bonnard, à la fin de sa vie, utilise davantage le jaune pour éclairer ses toiles et pratique une touche large et couvrante […]. »

J’y trouve pourtant la confirmation de l’amour de Bonnard pour Renée. Mais il ouvre deux nouvelles pistes : que signifie cette reprise de l’œuvre plus de 20 ans après son élaboration ? Que signifie cette lacune – la présence de Renée – à propos du séjour à Rome ? Comme cette notice biographique est rédigée par Antoine Terrasse, petit neveu de Bonnard, ça sent l’impasse sur un secret de famille…

LE RECOURS A LA BIOGRAPHIE DE BONNARD S’IMPOSE.

Bonnard aborde la période de l’immédiat avant guerre de 14-18 en traversant une profonde crise de confiance quant à sa peinture. Confronté à la remise en question radicale que représente le cubisme, il se « remet à l’école », se défiant de « tout ce qui (l)’avait tant passionné, de cette couleur qui vous affole… je lui sacrifiais, et presque inconsciemment, la forme …c’est donc le dessin qu’il me faut étudier… un tableau bien composé est à demi fait » (Charles TERRASSE, BONNARD, Floury Ed. – 1927). C’est aussi le moment où la relation avec Marthe devient plus problématique. Cela fait 20ans qu’ils se sont rencontrés et Marthe est devenue au fil du temps un des sujets les plus constants de sa peinture. Compagne de tous les instants, « amante, voluptueuse et sensuelle » (Maïthé VALLES-BLED), elle semble ne pas supporter le passage du temps. Alarmant tout le monde sur sa santé et décourageant les visites, voire même les relations avec les amis les plus intimes, elle étouffe Bonnard qui semble vouloir prendre alors ses distances.

C’est dans cette période que Bonnard a 2 liaisons connues et sérieuses avec des jeunes femmes beaucoup plus jeunes que lui et qui furent ses modèles. Entre 1914 et 1917 avec Lucienne Dupuy de Frenelle et peut-être dès 1917 avec Renée Monchaty.

Lucienne Dupuy de Frenelle qui a alors une vingtaine d’années est identifiée par son nom sur 8 œuvres dans le catalogue raisonné de Dauberville (une de 1916 ; six de 1917 et une de 1918). Mais elle est aussi très probablement le modèle du nu de La cheminée (1916), dont la superbe poitrine est mise en valeur dans une pose qui évoque la Niobide mourante, statue du 5e siècle av. JC qui venait d’être récemment mise à jour dans des fouilles à Rome. Mais la relation ne semble pas s’être approfondie et la trace de Lucienne se perd après 1918.

Il en va tout autrement avec Renée Monchaty. Jeune artiste ambitieuse là encore d’une vingtaine d’années, elle entre dans sa vie aussi comme modèle, peut être dès 1916 et devient sa maitresse au plus tard en 1918. C’est une blonde sculpturale qui satisfaisait les aspirations de Bonnard à des formes classiques et monumentales. En 1921, ils passent 2 semaines ensemble à Rome où ils y rencontrent les parents de la jeune fille qui consentent à son mariage.

Mais les scènes de Marthe finissent par avoir raison de Bonnard qui se rend compte qu’il est incapable d’abandonner Marthe. Il l’épouse en toute discrétion en août 1925 et Renée se suicide 3 semaines plus tard. Il semble établi qu’elle se tua d’une balle de revolver à son domicile à Paris « après avoir rempli son lit de lilas blanc » (d’après HAHNLOSER). Marthe insiste alors pour qu’il détruise toutes les œuvres la figurant pour effacer les traces de cette liaison. Bonnard conserve cependant Jeunes femmes au Jardin (1921-1923).

Marthe étant décédée en 1942, il revient sur ce tableau à la fin de la guerre, juste avant son décès, en janvier 1947. Comme l’ultime soleil qui aura illuminé les premières années de sa cinquantaine …

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Jean BARROT